Un Monde Sans Fin
l’intention de caresser Annet, quand Gwenda poussa un cri de douleur
et d’effroi. Tous les yeux se tournèrent vers elle.
31.
En entendant le hurlement, Caris reconnut la voix de Gwenda.
La crainte la saisit. Elle se précipita vers l’étal de Perkin.
Assise sur un tabouret, Gwenda, pâle comme un linge,
grimaçait de douleur, la main sur la hanche. Sa robe était trempée.
Peg, la femme de Perkin, s’exclama vivement :
« Elle a perdu les eaux, le travail commence.
— Mais c’est bien trop tôt ! s’exclama Caris avec
angoisse.
— Ça n’empêchera pas le bébé de sortir.
— C’est dangereux. Il faut la transporter à
l’hospice ! » lança Caris sur un ton décidé. En règle générale, les
femmes n’accouchaient pas à l’hospice, mais Gwenda y serait admise si Caris
insistait. Un bébé prématuré était plus fragile que les autres, tout le monde
le savait.
Wulfric apparut. Caris fut frappée par sa jeunesse. Il avait
à peine dix-sept ans et il allait devenir père.
« Je me sens un peu faiblarde, admit Gwenda. Ça ira
mieux dans un instant.
— Je vais te porter, répondit Wulfric et il la souleva
dans ses bras sans effort.
— Suis-moi », dit Caris. Elle partit devant,
criant aux gens de s’écarter. « De la place, s’il vous plaît ! »
Une minute plus tard, ils étaient arrivés.
La porte de l’hospice était ouverte. Les visiteurs
accueillis pour la nuit avaient été chassés des lieux depuis des heures et
leurs paillasses étaient à présent empilées contre un mur. Pieds nus et armés
de lavettes et de seaux, serviteurs et novices lavaient le sol à grande eau. Se
rappelant comment la vieille Julie s’était si bien occupée d’elle, Caris
supplia la personne la plus proche, une femme d’âge moyen, d’aller vite la
chercher. « Dites-lui que Caris la demande. »
Puis, ayant déniché un matelas relativement propre, elle
l’étala à même le sol près de l’autel, sacrifiant en cela davantage à la
tradition selon laquelle les autels guériraient les malades qu’à une intime
conviction. Wulfric déposa sa femme sur la couche avec le soin qu’il aurait
pris pour manipuler une statuette de verre. Gwenda s’étendit sur le dos, les
genoux repliés et les jambes écartées.
La vieille Julie ne se fit pas attendre. Elle ne devait
guère avoir plus de quarante ans, mais elle paraissait très âgée. « C’est
mon amie Gwenda, de Wigleigh, expliqua Caris. Je ne sais pas si elle va bien,
mais le bébé arrive avec deux semaines d’avance. C’est pour cela que j’ai
préféré l’amener ici, par précaution. De toute façon, nous étions dehors au
beau milieu du marché.
— Vous avez bien fait, dit Julie en poussant gentiment
Caris pour se pencher vers Gwenda. Comment vous sentez-vous, ma
chère ? »
Comme Julie et Gwenda s’entretenaient à voix basse, Caris
observa Wulfric. L’angoisse tordait son beau visage. Sachant qu’il avait
toujours voulu épouser Annet, elle se réjouit de le voir s’inquiéter autant
pour Gwenda. On aurait pu croire qu’il l’aimait depuis toujours.
Gwenda poussa un cri strident. « Doucement,
doucement ! la calma Julie. Le bébé ne va plus tarder. » Elle se mit
à genoux entre les pieds de la future mère et glissa les mains sous sa robe.
Une autre religieuse apparut : Mair, la novice au
visage angélique. Elle proposa d’aller chercher mère Cécilia.
« Inutile de la tracasser, répondit Julie. Cours dans
le cellier et rapporte-moi la boîte en bois portant l’inscription
« Naissance ». »
Mair s’éloigna d’un pas vif.
« Ô seigneur ! Que j’ai mal !
— Continue à pousser, dit Julie.
— Qu’est-ce qui se passe ? lança Wulfric.
— Tout va bien, expliqua Julie. Tout est normal. C’est
ainsi que les femmes donnent naissance. Tu dois être le fils cadet, sinon tu
aurais vu ta mère donner naissance. »
Caris était également la cadette et elle n’avait jamais
assisté à un enfantement. Elle savait que c’était douloureux, mais elle n’avait
pas imaginé que cela puisse l’être autant. Elle était bouleversée.
Mair revint avec la boîte demandée, qu’elle déposa près de
Julie.
Gwenda cessa de gémir. Ses yeux se fermèrent. On aurait pu
croire qu’elle s’était endormie. Mais quelques instants plus tard, elle hurla à
nouveau.
Julie ordonna à Wulfric : « Asseyez-vous près
d’elle et tenez lui la main. » Il obéit dans la
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