Un Monde Sans Fin
étaient toujours là. À l’écurie,
derrière la maison, lui dit-on. En train d’examiner la patte d’un cheval dont
le sabot s’était infecté.
D’ordinaire, Gwenda était toujours mal à l’aise en présence
de Ralph ou d’Alan, persuadée qu’ils ne pouvaient la voir sans se rappeler la
scène à l’auberge quand elle s’était agenouillée, entièrement nue, sur le lit.
Aujourd’hui, pourtant, cette pensée l’effleura à peine tant elle était décidée
à leur faire quitter le village dans l’instant, avant que Wulfric ne découvre
leur méfait. Mais comment s’y prendre ?
À leur vue, elle s’immobilisa, frappée de stupeur. Puis, au
désespoir, elle lâcha : « Seigneur, un messager est venu. De la part
du comte Roland.
— Quand ça ? demanda Ralph étonné.
— Il y a une heure. »
Ralph regarda le garçon d’écurie qui tenait la jambe du
cheval pour montrer sa blessure au seigneur. « Personne n’est venu
ici », dit-il.
Forcément. Un messager se serait adressé au manoir et aurait
parlé avec le sénéchal. Ralph se retourna vers Gwenda. « Pourquoi t’a-t-il
laissé le message à toi ? »
Prise au dépourvu, elle improvisa. « Je suis tombée sur
lui à l’orée du village. Il vous demandait, seigneur. Je lui ai dit que vous
étiez sorti chasser et que vous rentreriez pour le repas. Il n’a pas voulu
rester. »
Ce comportement était plutôt inhabituel. Normalement, un
messager restait pour boire et manger pendant que son cheval se reposait.
« Pourquoi a-t-il montré une telle hâte ? dit
Ralph.
— Il devait être à Cowford au coucher du soleil... Je
n’ai pas eu la hardiesse de l’interroger. »
Ralph marmonna entre ses dents. Il était vrai qu’un messager
du comte Roland ne se serait pas soumis au contre-interrogatoire d’une
paysanne. « Pourquoi ne m’as-tu pas prévenu plus tôt ?
— Je suis partie aux champs à votre rencontre, mais vous
êtes passé au triple galop.
— Je crois bien t’avoir aperçue, en effet. Quoi qu’il
en soit, quel était ce message ?
— Le comte Roland vous réclame à Château-le-Comte au
plus vite. » Elle s’interrompit pour prendre une grande bolée d’air et
continua sans se soucier que son mensonge soit plausible ou non :
« Le messager m’a prié de vous dire de prendre des chevaux reposés et de
partir sur-le-champ, sans prendre le temps de manger. » C’était
difficilement plausible, mais Ralph devait partir avant que Wulfric ne vienne
le trouver.
« Vraiment ? Et il a dit pourquoi on exigeait ma
présence avec une hâte aussi pressante ?
— Non.
— Hum », émit Ralph et il demeura pensif un
moment. Gwenda reprit la parole d’une voix impatiente : « Alors, vous
allez partir, maintenant ? »
Il lui jeta un regard furieux. « Mêle-toi de tes
affaires !
— Je ne voudrais pas qu’il soit dit que je ne vous ai
pas expliqué assez clairement l’urgence de la situation.
— Oh, tu n’aimerais pas ? Eh bien, moi, je ne me
soucie pas de ce que tu aimes ou n’aimes pas. Déguerpis ! »
Gwenda fut bien obligée de partir.
Elle s’en revint chez Perkin juste au moment où les hommes
rentraient des champs. Sam reposait paisiblement dans son couffin. Annet était
assise au même endroit. Sa robe baissée sur l’épaule laissait voir ses
contusions.
« Où étais-tu ? » lança Peg sur un ton
accusateur.
Gwenda ne répondit pas, et Peg fut distraite par l’arrivée
de Perkin et par sa réaction en voyant sa fille. « Qu’est-ce qui se
passe ? Qu’est-ce qui est arrivé à Annet ? »
Ce fut Peg qui répondit : « Elle a eu le malheur
de croiser la route de Ralph et d’Alan alors qu’elle était seule dans la
forêt. »
Le visage de Perkin s’assombrit de colère. « Et
pourquoi était elle toute seule ?
— C’est ma faute, gémit Peg et elle fondit en larmes.
Elle était comme toujours si paresseuse pour laver le linge que je lui ai
ordonné de rester pour terminer son travail. Et c’est alors que ces deux brutes
ont débarqué.
— On les a vus plus tôt, traversant le champ du
ruisseau, dit Perkin. Ils devaient venir du lavoir... C’est une sale affaire,
ajouta-t-il effrayé, le genre de chose qui peut ruiner une famille.
— Mais nous ne lui avons rien fait, nous !
protesta Peg.
— Justement. Il ne nous en détestera que plus. »
Gwenda se rallia intérieurement à son jugement. Perkin avait
du discernement par-delà
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