Un Monde Sans Fin
parler,
elle avait dû user d’un prétexte. Justement, un chien, entré dans la
cathédrale, avait aboyé pendant l’office. Le fait étant courant, l’on n’y
prêtait guère attention. Mais en cette occasion, Élisabeth jugea bon de quitter
le cortège pour le chasser de la nef. Ce qui lui permit de croiser la file des
moines. Elle ajusta son allure de sorte à passer devant Godwyn et s’en excusa
avec un sourire : « Je vous prie de me pardonner, frère
prieur. » Et d’ajouter en baissant la voix : « Retrouvez-moi à
la bibliothèque, comme si c’était par hasard. » Elle s’éloigna sur ces
mots pour aller chasser le chien par le portail ouest.
Intrigué, Godwyn se rendit à la bibliothèque et se plongea
dans la lecture de la règle de saint Benoît. Élisabeth entra quelques minutes
plus tard et prit l’Évangile de saint Matthieu. Les religieuses avaient fait
construire une bibliothèque destinée à leur seul usage peu après
l’intronisation de Godwyn dans ses fonctions de prieur, pour satisfaire à sa
demande de respecter plus rigoureusement la séparation entre hommes et femmes.
Très vite, en constatant le piteux état de sa bibliothèque vidée de tous les
ouvrages appartenant au couvent, Godwyn était revenu sur sa décision. La
bibliothèque du couvent servait désormais de salle de classe pendant l’hiver.
Pour ne pas donner l’impression qu’ils complotaient à qui
pouvait les apercevoir, Élisabeth s’assit dos à Godwyn mais suffisamment près
de lui pour qu’il puisse l’entendre clairement. « Il est une chose que je
me sens obligée de vous dire, commença-t-elle. Sœur Caris n’aime pas l’idée que
l’argent des religieuses soit conservé dans le nouveau trésor.
— Ce n’est pas nouveau ! répondit Godwyn.
— Elle a persuadé sœur Beth de recompter les pièces
pour s’assurer qu’il n’en manquait pas. J’ai pensé que vous aimeriez le savoir,
au cas où... vous en auriez emprunté. »
Godwyn crut que son cœur s’arrêtait de battre. Il ne s’était
pas attendu à une réaction aussi rapide de la part des religieuses. Il maudit
Caris. Le comptage allait révéler la disparition des cinquante ducats alors
qu’il avait encore besoin du reste pour construire son palais. « Quand
cela ? demanda-t-il d’une voix enrouée.
— Aujourd’hui. Je ne sais pas à quelle heure. Caris a
fait valoir avec force que vous ne deviez en aucun cas en être averti. »
Il devrait remettre les ducats en place, et le plus vite
possible.
« Je vous remercie, ma sœur. J’apprécie votre
dévouement.
— Je tenais à vous remercier pour vos bontés à l’égard
des miens à Long Ham », dit-elle et elle se leva pour partir.
Godwyn se hâta de l’imiter. Quel bonheur qu’Élisabeth se
considère comme sa débitrice ! Les talents de Philémon pour l’intrigue
s’avéraient inestimables. Il s’en faisait la remarque quand il aperçut son
sous-prieur dans le cloître. « File chercher tes outils et retrouve-moi
devant le trésor ! » lui souffla-t-il à voix basse avant de quitter
le prieuré.
Il traversa la pelouse d’un pas vif et déboucha dans la
grand-rue en face de la maison de son oncle Edmond le Lainier, l’une des
demeures les plus imposantes de la ville. Désormais c’était là que vivait sa
cousine Alice. Elle en avait hérité, ainsi que de tout l’argent gagné par Caris
grâce au tissu écarlate. Elfric et elle vivaient sur un très grand pied,
maintenant.
Godwyn frappa à la porte et entra. Alice était assise à la
table du vestibule devant les reliques d’un dîner. Sa belle-fille Griselda et Petit
Merthin lui tenaient compagnie. Le gamin ressemblait tant à Thurstan, l’amant
de Griselda qui avait pris la fuite, qu’il ne se trouvait plus personne pour
croire à la paternité de Merthin Fitzgerald. Les gens polis l’appelaient
« fils d’Harold », du nom de l’employé de son père qu’avait épousé
Griselda, les autres disait « Merthin le bâtard ».
À la vue de Godwyn, Alice bondit sur ses pieds. « Eh
bien, mon cousin le prieur, quel bon vent vous amène ? Prendrez-vous un
petit bol de vin avec nous ?
— Où est Elfric ? la coupa Godwyn sans se soucier
de ses amabilités.
— En haut. Il fait un petit somme avant de reprendre le
travail. Prenez place dans le parloir, je vais le chercher.
— Hâte-toi, je t’en prie ! »
Godwyn entra dans la pièce voisine et se mit à l’arpenter de
long
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