Un Monde Sans Fin
avec
rancœur. Caris s’esclaffa d’un rire dénué d’humour. « Venant de vous,
Philémon, c’est le comble de l’ironie !
— Je ne vois pas ce que vous voulez dire !
riposta-t-il, vexé.
— C’est moi qui ai proposé à sœur Caris de visiter
cette chambre forte, intervint sœur Beth pour tenter de ramener la paix. Elle
pose toujours des questions qui ne me viendraient jamais à l’esprit.
— En l’occurrence, celle-ci, à titre d’exemple, ajouta
Caris. Comment pouvons-nous être sûres que le prieuré ne s’appropriera pas
notre argent ?
— Je vais vous montrer », dit sœur Beth. Elle
attrapa une barre en chêne suspendue au mur et, s’en servant comme levier,
souleva une dalle du sol. Un creux apparut. « Un coffret spécial a été
fabriqué. Pour chacune de ces cachettes », dit-elle en plongeant la main
dans le trou pour en extirper un.
Caris l’examina. À première vue, il paraissait solide. Le
couvercle articulé possédait un rabat fermé à l’aide d’un cadenas en fer.
« D’où vient cette serrure ? demanda-t-elle.
— C’est Christophe le Forgeron qui l’a fabriquée. »
Christophe, qui avait pignon sur rue, n’aurait pas mis en péril sa réputation
d’artisan en fournissant le double de la clef à des voleurs.
Caris ne trouva rien à redire à ces arrangements. Peut-être
s’était-elle inquiétée inutilement, pensa-t-elle par-devers elle.
Elle s’apprêtait à quitter les lieux quand Elfric apparut,
accompagné d’un apprenti portant un sac.
« Voulez-vous que je le suspende
maintenant ? » demanda-t-il. Philémon se chargea de lui répondre.
« Oui, dit-il, allez-y, je vous prie. »
L’assistant d’Elfric sortit de son sac une grande pièce de
cuir. « Qu’est-ce que c’est ? voulut savoir sœur Beth.
— Vous allez voir ! répondit Philémon.
— J’ai dû attendre que ça sèche, déclara l’apprenti en
déroulant l’objet et en le tenant devant la porte.
— La peau de Gilbert Hereford, en guise
d’avertissement ! » déclara Philémon.
Beth laissa échapper un cri d’horreur.
« C’est dégoûtant ! »jeta Caris.
La peau avait viré au jaune et les cheveux se détachaient du
crâne. Néanmoins, on reconnaissait parfaitement un visage : les oreilles,
deux trous pour les yeux et une entaille en forme de sourire à hauteur de la
bouche.
« Si les voleurs ne sont pas terrifiés en découvrant
ça ! » s’exclama Philémon sur un ton satisfait.
Elfric entreprit de clouer la peau sur la porte de chêne
protégeant le trésor.
Les religieuses parties, Godwyn et Philémon attendirent
qu’Elfric termine sa tâche macabre pour entrer à nouveau dans la petite salle.
« Nous nous en sommes bien sortis, je crois »,
estima le prieur.
Philémon acquiesça. « Caris ne s’en laisse pas conter,
mais nous avons su éviter ses chausse-trappes.
— Et donc, maintenant...»
Philémon referma la porte. Ayant pris soin de la
verrouiller, il se mit en demeure de soulever la dalle en pierre masquant l’une
des deux cachettes des religieuses et en extirpa le coffret dissimulé à
l’intérieur.
« Sœur Beth garde au couvent une petite somme d’argent
pour les besoins courants, expliqua-t-il à Godwyn. Elle vient ici uniquement
pour déposer ou retirer des sommes plus importantes. Et toujours de l’autre
coffret, qui contient surtout des pièces d’argent. Celui-ci, elle ne l’ouvre
pour ainsi dire jamais. C’est là qu’est conservé le legs. »
Il le retourna pour examiner la charnière en fer placée à
l’arrière : elle était fixée au bois par quatre clous. Il sortit de sa
poche un petit burin en acier et une paire de pinces. Godwyn ne lui demanda pas
où il s’était procuré ces instruments. Parfois, il était plus sage de ne pas
tout savoir.
Philémon introduisit le côté pointu de son burin sous le
bord de la charnière et appuya délicatement sur le manche. La charnière joua un
peu. Il enfonça la lame plus loin et recommença. Il agissait avec patience et
douceur, attentif à ne pas laisser de traces révélatrices sur le bois. Les
clous se soulevèrent peu à peu et la partie plate de la charnière finit par se
désolidariser du coffret. Les ayant retirés à l’aide de ses pinces, il put
enfin faire jouer le couvercle.
« Voici donc ce qu’a légué aux sœurs la pieuse femme de
Thornbury », dit-il.
L’offrande consistait en ducats vénitiens. Sur une face des
pièces était
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