Un Monde Sans Fin
s’élevait du chœur des religieuses
réparties sur les bancs. Une voix finit par se détacher des autres :
« Dorénavant les moines n’en feront qu’à leur tête. »
Elle avait raison, songea Caris. Non seulement Godwyn et
Philémon, prétextant avoir agi par souci de célébrer la gloire du Seigneur avec
plus de faste, se tiraient d’un vol éhonté sans même écoper d’un blâme, mais
encore ils avaient tout loisir d’estimer que l’évêque s’était rangé de leur
côté. La défaite était particulièrement amère pour Mair et pour elle-même.
Mère Cécilia n’entendait pas perdre son temps à ressasser
des regrets. « Ce n’est la faute de personne, sauf peut-être la mienne,
car j’ai trop fait confiance au prieur. »
Caris, quant à elle, n’avait jamais cru un mot des mensonges
de Godwyn. Elle ne le fit pas valoir, préférant attendre la fin du discours. La
mère supérieure devait en effet annoncer plusieurs changements parmi les
affectations de responsabilité et personne ne savait en quoi ils consistaient.
« Il est impératif que nous soyons davantage sur nos
gardes à l’avenir, reprit mère Cécilia. Nous devons conserver notre trésor en
un lieu bien à nous auquel les moines n’auront pas accès. Et j’espère bien
qu’ils seront tenus dans l’ignorance de son emplacement. Sœur Beth abandonnera
ses fonctions de trésorière, avec tous nos remerciements pour ses longs et
loyaux services. Elle sera remplacée par sœur Élisabeth, qui a toute ma
confiance. »
Caris fit de son mieux pour ne pas laisser transparaître sa
désapprobation. À l’inverse de la prieure, elle n’avait pas pardonné à
Élisabeth d’avoir témoigné contre elle lors de son procès en sorcellerie. Mais
ce n’était pas la seule raison de son antipathie. À ses yeux, Élisabeth était
une femme aigrie et à l’esprit tordu, qui laissait ses rancœurs entacher son
jugement. Exactement le genre de personne qui avait tendance à agir sur la base
de préjugés et en qui on ne saurait se fier.
Cécilia poursuivait : « Sœur Margaret ayant
demandé à être déchargée de ses fonctions, sœur Caris prendra sa suite en tant
que sœur cellérière. »
Caris fut déçue. Elle avait espéré être élevée au rang de
sous-prieure. Elle essaya de sourire comme si cette nomination la comblait.
Cela lui fut difficile. À l’évidence, Cécilia ne nommerait personne pour la
seconder. Elle aurait pour subalternes deux rivales, Caris et Élisabeth, et
elle les laisserait se battre entre elles. Caris surprit dans le bref regard
que lui lança Élisabeth une haine à peine dissimulée.
Cécilia continuait : « Sœur Mair deviendra sœur
hôtelière sous la supervision de sœur Caris. »
Un sourire rayonnant apparut sur les lèvres de Mair :
elle était enchantée de se voir décerner une promotion et, plus encore, de
travailler à l’avenir au côté de Caris. Celle-ci aussi se réjouit. Comme elle,
Mair avait la hantise de la malpropreté et se méfiait des traitements prescrits
à tout-va, tels que les saignées si chères aux moines médecins.
Cécilia annonça d’autres nominations de moindre importance.
Caris l’écouta tout en s’efforçant de faire contre mauvaise fortune bon cœur.
La séance levée, elle alla la remercier.
« N’allez pas croire que cette décision me soit venue
facilement, avoua la mère prieure. Élisabeth est une femme intelligente et
déterminée. De plus, elle est rigoureuse dans les domaines où vous-même avez
tendance à vous disperser. En revanche, vous avez de l’imagination et vous
savez tirer des gens le meilleur d’eux-mêmes. J’ai besoin de vous deux, autant
d’elle que de vous. »
Comment Caris se serait-elle rebiffée contre une analyse
aussi juste ? Mère Cécilia la connaissait bien, pensa-t-elle non sans un
certain dépit. Mieux que personne au monde assurément, maintenant que son père
était mort et que Merthin était loin. Elle ressentit un élan d’affection pour
mère Cécilia. Nonobstant ses mille et une occupations, la prieure, telle une
oiselle, n’oubliait jamais de veiller sur ses oisillons, toujours attentive et
toujours affairée. « Je ferai tout mon possible pour me hisser à la
hauteur de vos espérances, ma mère », promit Caris et elle quitta le
réfectoire.
Elle devait vérifier que la vieille Julie ne manquait de
rien. Malgré ses remontrances, aucune des sœurs sous ses ordres ne s’en
occupait aussi bien
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