Un Monde Sans Fin
religieuses étaient censées
n’avoir aucun contact physique, et surtout ne jamais s’entretenir avec un homme
en privé, mais il avait toujours été permis à Caris de respecter ces règles ou
pas. Merthin se réjouit de constater que neuf années de couvent ne lui avaient
pas enseigné à plier devant l’autorité.
Il marcha en direction du potager. « Le jour où tu es
entrée au couvent, c’était là, sur ce banc, que j’étais assis avec Marc, quand
Madge est venue me dire que tu refusais de me voir. »
Caris hocha la tête. « C’était le jour le plus
malheureux de ma vie. Te voir n’aurait fait que me désespérer davantage.
— Moi aussi, sauf que je voulais te voir quand même.
Quitte à en être désespéré. »
Elle planta dans ses yeux ses prunelles vertes pailletées
d’or et le dévisagea avec la même candeur qu’autrefois. « C’est un
reproche ?
— Peut-être, parce que je t’en ai beaucoup voulu.
Quelle que soit ta décision, tu me devais une explication ! »
Ce n’était pas ainsi qu’il avait imaginé leur conversation,
mais c’était plus fort que lui. Elle ne lui présenta pas d’excuses.
« C’est simple, pourtant. Je ne supportais pas l’idée
de te quitter. Si j’avais dû te parler, je crois que je me serais tuée. »
Sa réponse le prit de court. Neuf années durant, il avait
estimé qu’elle n’avait pensé qu’à elle, ce jour-là. Il se rendait compte
maintenant que c’était lui qui avait été égoïste en exigeant de la voir. Caris
avait toujours eu le don de le forcer à se remettre en question. C’était
désagréable, mais il devait convenir qu’elle avait souvent raison.
Ils ne s’assirent pas sur le banc, mais bifurquèrent en
direction de la cathédrale. Le ciel s’était couvert, le soleil était caché par
les nuages. « En Italie, nous venons de subir une épidémie de peste
abominable, dit-il. Là-bas, les gens l’appellent la grande mana.
— J’en ai entendu parler. Elle a touché aussi le sud de
la France, n’est-ce pas ? Ça paraît redoutable.
— J’ai attrapé la maladie, mais je m’en suis sorti, ce
qui est peu courant. Mon épouse, Silvia, est morte, elle. »
La nouvelle bouleversa Caris. « Je suis bien triste
pour toi. Tu dois être très malheureux.
— Toute la famille est morte, tous mes commanditaires
aussi. Je me suis dit que c’était le moment ou jamais de revenir au pays. Et
toi ?
— Je viens d’être élevée au rang de cellérière »,
lui annonça-t-elle avec une évidente fierté.
Le fait lui parut anodin après l’abomination qu’il venait de
vivre à Florence, mais ce devait être important dans la vie d’un couvent.
Regardant la cathédrale, il dit : « Il y a une cathédrale magnifique
à Florence. La façade est faite de pierres de différentes couleurs qui forment
toutes sortes de dessins. Mais je préfère celle-ci, d’un seul ton et avec des
sculptures. » Comme il levait les yeux vers la tour dont la pierre grise
se détachait sur le ciel gris, il reçut une goutte de pluie.
Ils s’abritèrent à l’intérieur du sanctuaire. Une douzaine
de personnes se trouvaient dans la nef, des visiteurs étrangers à la ville qui
admiraient l’architecture, des dévots originaires de Kingsbridge occupés à
prier et deux novices qui balayaient les lieux. « Je me rappelle le jour
où je t’ai caressée derrière ce pilier, ajouta Merthin avec le sourire.
— Moi aussi, répondit Caris, évitant son regard.
— J’éprouve toujours pour toi les mêmes sentiments que
ce jour-là. C’est pour ça que je suis revenu. »
Elle se tourna vers lui et le regarda avec colère. « Ça
ne t’a pas empêché de te marier !
— Et toi d’entrer au couvent !
— Comment as-tu pu épouser cette Silvia si tu
m’aimais ?
— Je croyais pouvoir t’oublier. Je n’ai pas réussi.
Plus tard, quand j’ai cru ma dernière heure venue, j’ai compris que je ne
t’oublierais jamais. »
Sa colère disparut aussi vite qu’elle était apparue. Ses
yeux s’embuèrent de larmes. « Je sais, dit-elle en baissant le regard.
— Et toi, tu ressens toujours la même chose ?
— Je n’ai jamais changé.
— Tu as essayé ? »
Elle planta ses yeux dans les siens : « Il y a une
nonne...
— La jolie, qui t’accompagnait tout à l’heure ?
— Comment as-tu deviné ?
— Elle a pleuré en me voyant. Je me demandais
pourquoi. » L’air coupable de Caris
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