Un Monde Sans Fin
qu’elle. À croire qu’une personne âgée et impotente n’avait
pas besoin d’une couverture quand le temps était frais, d’une boisson quand
elle avait soif, ou d’un bras secourable pour l’accompagner aux latrines aux
heures où elle y allait habituellement. Caris décida de lui apporter une tisane
qui d’ordinaire la requinquait. Elle passa donc par sa pharmacie pour la
préparer.
Elle avait mis une petite casserole d’eau à bouillir sur le
feu quand Mair entra. « N’est-ce pas merveilleux ? s’exclama-t-elle
en refermant la porte sur elle. À partir de maintenant, nous travaillerons
toujours ensemble ! » Elle serra Caris contre elle et posa un baiser
sur ses lèvres.
Caris lui rendit son étreinte et se dégagea rapidement. « Ne
m’embrasse pas comme ça !
— C’est parce que je t’aime.
— Moi aussi, mais pas de la même manière. »
De fait, Caris aimait beaucoup Mair. Elles étaient devenues
très proches en France, quand elles avaient risqué leurs vies ensemble. Caris
s’était même sentie attirée par la beauté de sa compagne et, une fois, elle
avait fini par succomber à ses avances. C’était à Calais, dans une auberge où
elles s’étaient arrêtées pour passer la nuit. Leur chambre avait une porte qui
fermait à clef. Mair l’avait caressée et baisée dans les endroits les plus
intimes de son corps, et elle lui avait rendu la pareille. Mair avait affirmé
que c’était le plus beau jour de sa vie. Pour Caris, la découverte avait été
agréable, certes, mais elle ne souhaitait pas la répéter.
« Ce n’est pas grave, répondit Mair. Du moment que tu
m’aimes, ne serait-ce qu’un petit peu, ça me suffit. Tu ne cesseras pas,
n’est-ce pas ? »
Caris versa l’eau bouillante sur les feuilles de tisane.
« Je te promets que quand tu seras aussi vieille que Julie, je
t’apporterai une infusion pour te maintenir en vie.
— C’est la chose la plus gentille qu’on m’ait dite de
ma vie ! » bredouilla Mair, les yeux embués de larmes.
Craignant qu’elle ne voie dans cette phrase la promesse d’un
amour éternel, Caris la prévint gentiment de ne pas se laisser aller à la
sentimentalité. « C’est bon, lâcha-t-elle tout en versant l’infusion dans
un bol en bois à travers une passoire. Allons voir comment se porte
Julie. »
Elles traversèrent le cloître et entrèrent dans l’hospice.
Un homme à l’abondante barbe rousse se tenait près de l’autel.
Elle s’approcha de lui. « Dieu vous bénisse,
étranger », le salua-t-elle.
L’inconnu lui rappelait quelqu’un. Curieusement, il ne
répondit pas à sa phrase de bienvenue, mais la dévisageait intensément de ses
prunelles mordorées. Le reconnaissant, elle laissa choir son bol.
« Seigneur Dieu ! Toi ! »
*
Ces quelques secondes avant que Caris ne remarque sa
présence avaient été pour Merthin un moment exquis qu’il conserverait à tout
jamais gravé dans sa mémoire, quelle qu’en soit l’issue. Face à ce visage dont
la vue lui avait été si longtemps interdite, il éprouvait un choc comparable à
ce que l’on ressent quand on plonge dans une rivière glacée un jour de
canicule. Il fixait avidement Caris, se rappelant brutalement combien il
l’avait chérie. Ses craintes avaient été vaines, Caris avait à peine changé.
Ces neuf années ne l’avaient pas marquée ; pourtant, elle aurait bientôt
trente ans. Elle était toujours aussi mince et vive qu’à vingt ans. Un bol en
bois à la main, elle était entrée dans l’hospice d’un pas rapide dénotant une
autorité indiscutée ; elle l’avait aperçu, avait marqué une pause et
laissé échapper son bol.
Il lui sourit, éperdu de bonheur.
« Toi ici ! Je te croyais à Florence !
— Je suis bien aise d’être de retour. »
Elle regarda la flaque répandue sur les dalles. « Je
m’en occupe, dit la religieuse qui l’accompagnait. Allez parler avec
lui. » Elle avait un joli visage, mais aussi les larmes aux yeux. Tout à
sa joie, Merthin le nota sans y prêter véritablement attention.
« Quand es-tu revenu ? demanda Caris.
— Il y a une heure à peine. Tu as l’air en bonne forme.
— Et toi... un homme, maintenant ! »
Il rit.
Elle reprit : « Qu’est-ce qui t’a poussé à
revenir ?
— C’est une longue histoire ; j’aimerais te la
raconter.
— Sortons dans le jardin. » Elle posa légèrement
la main sur son bras et l’entraîna dehors. Les
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