Un Monde Sans Fin
répondit par une tirade en italien. L’interprétant
comme un consentement, Dora sortit avec elle dans la cour.
Laissant Jean finir de décharger le chariot, Madge conduisit
Merthin dans la grande salle à l’étage. « Marc est à Melcombe pour
expédier du tissu, lui apprit-elle. Il devrait être de retour aujourd’hui ou
demain. Notre écarlate se vend jusqu’en Bretagne et en Gascogne. »
Merthin s’assit. Madge lui apporta une chope de bière.
« La ville a l’air de prospérer, fit-il remarquer.
— La laine vierge est en déclin. Tout ça, c’est la
faute aux taxes de guerre. Pour être bien sûr qu’elles seront collectées, le
roi exige que ce commerce soit entièrement rassemblé entre les mains de
quelques gros marchands. Il n’en subsiste plus guère à Kingsbridge. Il y a bien
Pétronille, qui a repris les affaires d’Edmond, mais ça n’a plus rien à voir
avec ce que c’était dans le temps. Heureusement, le tissu a pris la relève.
Chez nous, en tout cas.
— Godwyn est toujours prieur ?
— Malheureusement oui.
— Il continue à vous rendre la vie difficile ?
— Il est d’une étroitesse d’esprit ! Il s’oppose à
tout changement, interdit tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à
un progrès. Je te donne un exemple : Marc a proposé à titre d’expérience
que le marché se tienne aussi le samedi et non plus seulement le dimanche.
— C’est une bonne idée. Qu’a-t-il donc trouvé à y
redire ?
— Que si les gens allaient au marché le samedi, ils ne
reviendraient pas le lendemain à Kingsbridge pour assister à la messe.
— Il y en aurait eu d’autres qui seraient allés deux
fois à l’église, le samedi en plus du dimanche.
— Tu le connais, il voit toujours tout en noir.
— La guilde de la paroisse lui tient tête, je
suppose ?
— Oh, pas souvent ! C’est Elfric le prévôt. Grâce
à Alice, il détient la presque totalité de ce qu’Edmond a laissé.
— Rien n’oblige à ce que le prévôt soit l’homme le plus
riche de la ville.
— Bien sûr, mais c’est presque toujours le cas, tu le
sais bien. Et je ne t’apprendrai pas non plus qu’Elfric emploie quantité
d’artisans – charpentiers, tailleurs de pierre, gâcheurs de plâtre, monteurs
d’échafaudages – et qu’il se fournit en matériaux auprès de tous les marchands
de la ville. Moyennant quoi il s’en trouve à la pelle, des gens prêts à le soutenir !
— Et il a toujours été proche de Godwyn.
— Je ne te le fais pas dire ! Il rafle tous les
travaux commandités par le prieuré, tous les ouvrages publics, jusqu’au
dernier !
— Alors que c’est un piètre constructeur !
— Curieux, non ? » Sur un ton amusé Madge
ajouta : « On pourrait croire que Godwyn aurait à cœur d’employer les
meilleurs artisans. Nenni ! Pour lui, la seule chose qui compte, c’est
qu’on se plie à ses volontés, qu’on obéisse à ses désirs sans poser de
question. »
Rien n’avait changé, songea Merthin avec un certain
abattement. Ses ennemis d’antan étaient toujours au pouvoir. Il ne lui serait
probablement pas facile de reprendre son ancienne vie. « Ce ne sont pas de
bonnes nouvelles que tu me donnes là. Je ferais bien d’aller jeter un œil à mon
île, conclut-il en se levant.
— Je dirai à Marc d’aller te voir dès son
retour. »
Merthin passa chez les voisins chercher Lolla. La petite
fille s’amusait si bien qu’il la laissa avec Dora. Du pas d’un promeneur, il
partit à la découverte de la ville. En traversant le pont, il s’arrêta pour
étudier les fissures de plus près. Un long examen ne lui fut pas nécessaire
pour en comprendre l’origine. Il reprit son chemin.
L’île aux lépreux n’avait guère changé, constata-t-il en en
faisant le tour. Des quais et des entrepôts avaient été construits à l’ouest,
mais il n’y avait toujours qu’une seule maison d’habitation : la
sienne, prêtée à Jimmie. Elle s’élevait dans la partie est, près de la route
reliant les deux ponts.
Aucun de ses ambitieux projets de développement n’avait vu
le jour pendant ses années d’exil, ce qui n’était pas surprenant. Pourrait-il
les réaliser maintenant ? Il entreprit d’arpenter le terrain à grandes
enjambées pour se faire une idée des distances, visualisant les bâtiments et même
les rues. Cette occupation le retint jusqu’à ce que sonne midi.
Il partit alors chercher Lolla et
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