Un Monde Sans Fin
n’existait pas ici. Si, cette nuit, il couchait par terre dans cette
salle à côté de Caris, il devrait se contenter de dormir pour ne pas provoquer
de scandale.
Au bout d’un moment, dame Philippa apparut au sommet de
l’escalier. Elle descendit les marches et fit son entrée à l’instar d’une
reine, consciente que tous les regards étaient levés vers elle. La dignité de
son maintien n’en rehaussait que mieux ses attraits, ses hanches rondes et sa
fière poitrine. Aujourd’hui, cependant, son visage d’habitude si serein était
gonflé et ses yeux rougis. Sa coiffe à la mode était posée un peu de travers
sur sa tête et les mèches de cheveux qui s’en échappaient révélaient
l’affolement qu’elle tentait de dissimuler derrière sa prestance.
Merthin se leva, empli d’attente.
« Mon mari a la peste, comme je le craignais,
déclara-t-elle à la cantonade. Mes deux fils aussi. »
Un murmure consterné accueillit ses mots.
Peut-être s’agissait-il seulement d’un sursaut de
l’épidémie, songea Merthin en l’espérant de tout son cœur. Mais cela pouvait
aussi bien signifier la recrudescence du mal. À voix haute, il demanda :
« Comment se sent le comte ? »
Philippa vint le rejoindre sur son banc. « Mère Caris a
calmé ses douleurs. D’après elle, la fin est proche. »
Leurs genoux se touchaient presque et, malgré l’amour fou
qu’il portait à Caris, Merthin ne put s’empêcher d’être sensible à la
sensualité qui émanait de dame Philippa en dépit de son chagrin. « Et vos
fils ? » s’enquit-il.
Elle baissa les yeux sur sa robe de brocart bleu et se mit à
examiner fixement les entrelacs de fils d’or et d’argent qui en composaient le
motif. « Ils sont dans le même état que leur père.
— Je comprends combien cela doit être difficile pour
vous, ma dame, dit-il doucement. Très difficile. »
Elle tourna vers lui un regard las. « Vous êtes bien
différent de votre frère. »
Merthin se demanda si dame Philippa était consciente de
l’amour obsédant que Ralph lui avait voué pendant de longues années.
Finalement, ça n’avait guère d’importance. Ce qui comptait, c’était que son
frère avait fait un bon choix : tant qu’à aimer sans espoir, autant aimer
une femme extraordinaire. Il répondit sur un ton neutre : « Ralph et
moi sommes très différents, en effet.
— Je me souviens de vous encore tout jeune. Vous ne
manquiez pas d’aplomb. Vous m’avez dit d’acheter de la soie verte pour aller
avec mes yeux. Après cela, votre frère a provoqué une bagarre.
— Il arrive parfois que le cadet cherche par tous les
moyens à se démarquer de l’aîné, expliqua Merthin.
— Oh, c’est certainement la vérité en ce qui concerne
mes fils. Rollo a hérité de son père et de son grand-père un esprit déterminé
et résolu, alors que Rick déborde de bonnes intentions et aime à rendre
service. Oh, mon Dieu, quand je pense que je vais les perdre tous les
trois ! »
Elle se mit à pleurer. Merthin lui prit la main et lui dit
gentiment : « Qui peut prédire l’avenir ? J’ai attrapé la peste
à Florence, et j’y ai survécu. Ma fille est tout simplement passée au travers.
— Et votre femme ? » demanda-t-elle en
relevant les yeux vers lui.
Merthin regarda ses mains qu’elle tenait jointes, des mains
bien plus fripées que les siennes alors que quatre ans seulement les
séparaient. « Elle est décédée, dit-il.
— Je prie le Seigneur de ne pas m’épargner. Si tous mes
hommes disparaissent, je veux mourir aussi.
— Mais non !
— Voyez-vous, le destin des femmes bien nées est
d’épouser des hommes qu’elles n’aiment pas. Pour ma part, je peux considérer
que la chance m’a souri puisque j’ai aimé William au premier regard, bien qu’il
ait été choisi pour moi. Je ne supporterais pas d’avoir un autre époux...,
ajouta-t-elle d’une voix défaillante.
— Vous dites cela maintenant », objecta-t-il tout
en pensant par-devers lui qu’il était étrange de tenir pareils propos quand son
mari était encore en vie. Mais elle était si triste qu’elle devait dire ce qui
lui passait par la tête, sans penser aux convenances.
« Et vous ? Êtes-vous remarié ? reprit-elle
avec effort.
— Non, répondit-il, ne pouvant avouer qu’il entretenait
une liaison avec la prieure de Kingsbridge. Toutefois, je crois que je le
pourrais si l’élue de mon cœur le voulait bien.
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