Un Monde Sans Fin
séquelle d’une blessure de guerre,
empirait avec l’âge.
Reconnaissant Merthin, sieur Louis lui serra la main. Ralph
l’imita non sans ironiser : « Une visite de mon frère ? Mais
c’est un plaisir qui m’est rarement offert ! »
Estimant la raillerie fondée, Merthin l’accepta de bonne
grâce. « Je suis venu implorer ta clémence, me croyant le mieux placé pour
l’obtenir.
— Quel besoin as-tu de ma clémence ? Aurais-tu
occis quelqu’un ?
— Pas encore, mais qui sait ? » se défendit
Merthin.
Sa réponse fit glousser sieur Louis.
« Alors, de qui s’agit-il ?
— De Sam. Nous connaissons sa mère depuis l’enfance.
— Très précisément depuis le jour où j’ai tué son chien
avec un arc de ta fabrication. »
Merthin avait oublié l’incident. Pourtant, il augurait déjà
de la triste métamorphose de son frère, se dit-il soudain. « Ta cruauté
passée fait peut-être de toi son débiteur, alors ?
— Le fils du bailli vaut plus qu’une saleté de cabot.
— Loin de moi de penser le contraire. Mais disons
qu’une bonté de ta part aujourd’hui viendrait un peu comme une compensation.
— Une compensation ? s’écria Ralph et Merthin
comprit à son ton énervé que la cause était perdue. Une compensation, alors que
je suis défiguré ? répéta le comte en tapotant son nez de travers. Je ne
requerrai pas la grâce de Sam, il n’en est pas question ! assena-t-il en
pointant un doigt accusateur sur son frère. Et je vais te dire pourquoi. Au
tribunal, j’ai bien observé Wulfric quand son fils a été reconnu coupable.
Sais-tu ce que j’ai vu sur son visage ? De la peur ! J’ai enfin
dompté ce paysan insolent. Aujourd’hui, il me craint !
— Est-ce si important pour toi ?
— Important ? J’enverrais six hommes au gibet
uniquement pour revoir son regard. »
Se rappelant la douleur de Gwenda, Merthin se retint de
partir. « Justement ! tenta-t-il une dernière fois. Maintenant, tu
l’as vaincu. Tu n’as plus rien à prouver ! Laisse son fils s’en sortir,
demande sa grâce au roi.
— Non, je veux qu’il continue à me craindre. »
Merthin regretta d’être venu. Insister ne faisait
qu’exacerber les pires travers de son frère, esprit de vengeance et cruauté.
Comme chaque fois qu’il s’y trouvait confronté, il était atterré. Il se jura de
rompre tout contact avec lui.
« Adieu. Il fallait que je tente ma chance, j’y étais
obligé. »
Sur ces mots, il tourna les talons.
« Viens dîner au château avec Caris ! lança
joyeusement Ralph à sa suite. Le shérif a préparé une bonne table. Nous
pourrons parler sérieusement. Philippa sera là... Tu l’aimes bien, non ?
— Je vais lui en parler », répondit Merthin.
Caris, il le savait, préférerait partager le repas de Lucifer plutôt que
s’asseoir à la même table que Ralph.
« À tout à l’heure, peut-être. »
Merthin regagna la salle commune. Caris et Gwenda
l’accueillirent avec une impatience anxieuse. Il secoua la tête :
« J’ai tout tenté. »
Gwenda ne parut pas trop déçue. Elle s’était attendue à un
refus. Faire intervenir Merthin lui avait semblé la meilleure solution pour
obtenir la grâce de son fils. Il y en avait une autre, plus radicale.
Mais le temps pressait. Elle ne se perdit pas en effusions
inutiles. Ayant remercié son malheureux émissaire, elle quitta les lieux.
*
Wulfric et David s’étaient rendus dans une taverne des
faubourgs où l’on pouvait se remplir le ventre sans se ruiner. Gwenda n’alla pas
les rejoindre. Elle s’engagea sur la route menant au château du shérif, seule.
À quoi bon se faire accompagner de son mari ? Il n’était pas fin
négociateur. Face à des individus comme Ralph, sa force et sa droiture
n’étaient d’aucun secours.
D’ailleurs, si elle arrivait à persuader le comte, elle
n’avouerait jamais à Wulfric par quels moyens elle y était parvenue.
En chemin, elle entendit des chevaux derrière elle. Elle se
retourna : c’étaient Ralph et sa suite, accompagnés du juge. Elle
s’immobilisa sur le bas-côté et fixa le comte intensément, espérant qu’il
croiserait son regard et comprendrait qu’elle venait le voir.
Quelques minutes plus tard, elle pénétrait dans la cour du
château. L’accès à la résidence du shérif lui étant interdit, elle se dirigea
vers le bâtiment principal et s’adressa au maréchal des logis en faction devant
la
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