Un Monde Sans Fin
s’en
tire après avoir assassiné son bailli !
— La peine capitale, alors ?
— Sans aucun doute ! »
Le juge se retourna vers la cour. Le regard de Ralph se
reporta sur Wulfric. L’assistance était pendue aux lèvres de sieur Louis :
« Sam de Wigleigh, tu es condamné à mort pour avoir tué le fils de ton
bailli. Tu seras pendu demain à l’aube, sur la place du marché de Shiring. Que
Dieu ait pitié de ton âme ! »
Wulfric chancela. Son fils cadet dut le rattraper par le
bras pour l’empêcher de s’effondrer. Ralph exultait. Lâche-le ! eut-il
envie de s’écrier. Qu’il tombe à terre et y demeure !
Ralph fit pivoter son regard sur Gwenda. Elle tenait la main
de son fils, mais c’était lui qu’elle fixait. Son expression le surprit. Il
s’était attendu à des larmes et à des cris, elle le dévisageait froidement et
dans ses yeux brillait la haine. La haine, et autre chose aussi : le défi.
À la différence de Wulfric, elle n’était pas dévastée. Pour elle, l’affaire
n’était pas close.
Ralph en fut alarmé. Que mijotait-elle ?
84.
Sam fut emmené. Contrairement à Caris, qui était en larmes,
Merthin ne put feindre le chagrin. Certes, il compatissait du fond du cœur à la
tragédie qui frappait Gwenda et Wulfric, mais, à ses yeux, le coupable méritait
d’être pendu. La loi était peut-être mauvaise, injuste, oppressive, Sam n’était
pas autorisé à la bafouer pour autant. Il avait bel et bien tué Jonno, qui
incarnait le droit. Le bailli aussi connaissait le chagrin, et le fait qu’il
soit détesté de tous ne changeait rien à l’affaire.
À présent, c’était à un voleur d’être jugé. Merthin et Caris
s’éclipsèrent de la salle d’audience pour gagner l’auberge voisine. Merthin
commanda du vin. Il venait d’en servir une coupe à son épouse quand Gwenda
apparut.
« Il est midi. Il nous reste dix-huit heures pour
sauver Sam.
— Qu’as-tu en tête ? s’étonna Merthin.
— Persuader Ralph de demander sa grâce au roi. »
Espoir bien ténu.
« Comment comptes-tu le convaincre ? s’enquit
Merthin, qui doutait fortement du succès de l’entreprise.
— Moi, je n’ai aucune chance. Mais toi, il
t’écoutera. » Merthin se sentit pris au piège. Il avait beau estimer que
Sam n’avait pas droit au pardon, il lui était difficile de rester sourd aux
suppliques d’une mère.
« J’ai déjà plaidé ta cause auprès de mon frère,
rappelle-toi.
— Je sais. Quand Wulfric aurait dû hériter des terres
de son père.
— Ralph a refusé tout net.
— Je sais, mais tu dois essayer.
— Je ne suis pas sûr d’être la personne la mieux
placée.
— S’il ne t’écoute pas, qui écoutera-t-il ? »
La remarque était fondée. Voyant son mari hésiter, Caris
s’en mêla. « S’il te plaît, Merthin. Pense à ton chagrin s’il s’agissait
de Lolla. »
Il faillit répondre que les filles ne cherchaient pas
querelle et se retint à temps. Qui pouvait dire de quoi Lolla était
capable ?
« C’est voué à l’échec, soupira-t-il, mais puisque
Caris appuie ta demande, je veux bien essayer.
— Tout de suite ? insista Gwenda.
— Ralph est encore au tribunal.
— Ils n’en ont plus pour longtemps. C’est presque
l’heure du déjeuner. Si tu allais l’attendre dans la salle privée ?
— Entendu », répondit Merthin, admirant par-devers
lui la détermination de Gwenda.
Il gagna le fond de l’auberge. Une sentinelle montait la
garde devant la salle réservée au juge.
« Je suis le frère du comte, Merthin, prévôt de
Kingsbridge.
— Je vous connais, messire. Vous pouvez patienter à
l’intérieur. »
Merthin franchit la porte. Demander une faveur à Ralph lui
déplaisait souverainement. Il ne le fréquentait guère depuis des décennies.
Depuis que leurs parents avaient quitté ce monde, ils ne se croisaient plus
qu’en de rares occasions officielles et s’adressaient à peine la parole.
Invoquer aujourd’hui des liens familiaux était bien présomptueux. Merthin ne
s’y serait jamais résolu si Caris ne l’avait pas supplié : l’idée de la
décevoir lui était insupportable. L’individu qui avait violé Annet et tué Tilly
était un monstre qu’il ne connaissait pas. Comment ce monstre avait-il pu
naître d’un garçon qu’il appelait jadis son frère ?
Le juge et le comte ne tardèrent pas à faire leur entrée.
Merthin nota que la claudication de Ralph,
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