Un paradis perdu
d'échapper aux responsabilités et fit tout ce qu'il put pour remplir les devoirs qu'il avait encourus et dont le mariage ne faisait certainement pas partie ». Harry Thurston Peck, Vingt Années de vie publique aux États-Unis (1885-1905) , librairie Plon, Paris, 1921.
5.
La mort accorde parfois à ceux qu'elle vient de saisir une sereine beauté.
Cependant, quand Pacal revit son grand-père, dûment toiletté par Pibia, cravaté, vêtu d'un habit noir, le buste barré par le Royal Blue , ruban bleu du très noble ordre de la Jarretière, il ne reconnut pas, dans le maigre gisant au masque de vieil ivoire, l'homme qu'il aimait.
– Il n'est plus là, soupira-t-il.
– Absence de l'âme, répondit le pasteur Russell.
Au petit matin, dès l'arrivée d'Ottilia et de Charles Desteyrac, Uncle Dave et Weston Clarke conseillèrent, étant donné le genre de maladie qui avait emporté leur patient, une mise en bière rapide. Quelques heures plus tard, le cercueil d'acajou fut porté, ouvert, dans le hall du manoir, afin que les habitants du Cornfieldshire puissent rendre une ultime visite au maître de l'île.
Ottilia et Pacal s'attendaient à voir défiler, après les intimes, quelques familles du voisinage, mais sans que l'on sût comment, la nouvelle de la mort de lord Simon s'était, en quelques heures, répandue du nord au sud de l'île. Créoles, Noirs, Arawak, mulâtres arrivèrent en famille et John Maitland dut, à la demande de Pacal, placer un piquet de marins devant l'escalier du manoir pour canaliser cette foule. Hommes, femmes, enfants avançaient en file, dans un silence respectueux, tête baissée, voulant s'abstenir de toute curiosité, alors que la plupart d'entre eux franchissaient pour la première fois le seuil de leur maître et seigneur.
– Savez-vous que certains de ces petits ou adolescents se nomment Simon ou Leonard ? murmura Uncle Dave.
– Mon père a toujours accepté d'être le parrain du troisième garçon d'une famille, quelle que soit sa race ou sa condition sociale, rappela Ottilia.
Après un instant de recueillement devant le défunt – certains posaient la main sur le bord du cercueil comme qui touche une châsse –, les visiteurs sortaient par la porte du fond du hall, ouverte à deux battants pour la circonstance.
Ce défilé dura jusqu'à la fin de la matinée. Le dernier îlien parti, Tom O'Graney, retenant ses larmes, ne laissa à personne le soin de fermer la bière, hâtivement confectionnée, après qu'Ottilia y eut déposé la première rose de l'année et Palako-Mata une branche de yucca, l'arbre sacré des Arawak.
Le protocole funéraire du très noble ordre de la Jarretière exigeait une garde d'honneur jusqu'à l'inhumation du chevalier défunt. Des officiers et des marins, en uniforme de la flotte Cornfield, se relayèrent pour l'assurer jusqu'à la levée du corps.
Avec Ottilia, Pacal fixa au lendemain matin la mise au tombeau.
Comme Charles Desteyrac conviait son fils à regagner Malcolm House, celui-ci déclina l'invitation. Son premier devoir lui commandait de rester à Cornfield Manor, pour prendre connaissance des volontés de son grand-père.
Il accepta une collation, servie dans la salle à manger où Pibia avait dressé son couvert à la place du maître de maison, façon de matérialiser une succession approuvée. Il s'enferma ensuite dans le cabinet de travail du maître.
Ayant pris place, derrière la grande table d'acajou à abattants, dans le fauteuil au cuir patiné, il en caressa les accoudoirs polis par l'usage, trouvant dans ce contact assez d'émotion pour enfin s'abandonner au chagrin jusque-là contenu.
« Un homme ne verse de larmes que verticales », disait souvent lord Simon, ennemi de toute exhibition. Celles de son petit-fils n'eurent pour témoin que l'antique tête de cristal de roche aux pupilles de saphir, posée sur sa sellette, entre deux fenêtres.
Sur le buvard du sous-main, constellé de hiéroglyphes, Pacal étala le contenu de l'enveloppe laissée à son nom et trouvée, comme annoncé la veille par lord Simon, dans le tiroir central du bureau. Au cours de sa lecture, il éprouva l'étrange sensation d'entendre la voix de son grand-père prononcer les mots qu'il lisait. Comme toujours, les volontés du maître étaient clairement exprimées. Revenait à son héritier le devoir de les exécuter.
Le gouverneur et les autorités
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