Un paradis perdu
la mort de sa maîtresse, se morfondait à Buena Vista. La proposition ayant été bien accueillie, car les deux cordons bleus s'estimaient, on vit débarquer, à Cornfield Manor, Ma Mae et ses filles, Seraphita et Sylvana.
Aux premiers jours de septembre, on apprit la mort de Margaret Russell. Elle ne s'était pas remise de sa chute dans l'escalier de sa maison et venait de succomber, à l'Alister Cornfield Hospital, où elle avait été admise juste avant la disparition de lord Simon. Si les médecins, respectant le secret professionnel, s'étaient toujours montrés discrets sur l'alcoolisme de Margaret Russell, dès le décès, Dorothy Weston Clarke répandit le bruit que la chute dans l'escalier de la femme du pasteur n'était pas la cause de sa mort. « Elle a succombé à une crise de delirium tremens » susurrait l'épouse du médecin dans les salons.
Pacal se rendit aux obsèques et dut, à cette occasion, prononcer un bref éloge funèbre de la disparue. Il insista sur ses qualités de mère de famille et de pédagogue qui, au fil des années, avait instruit des centaines d'insulaires, dont certains lui étaient redevables aujourd'hui, dans l'archipel, de situations enviables. Ne résistant pas à l'envie de stigmatiser les propos des commères, il ajouta :
– Dans nos colonies, existent des femmes peu mondaines, qui se dévouent, sans mesurer leur temps ni leur peine, à l'instruction et à l'élévation morale des indigènes. On les rencontre dans les salles de classe, les ouvroirs et les dispensaires, plutôt que dans les salons, où potinent les dames désœuvrées. Margaret Russell fut de ces éducatrices estimables, qui ont droit au respect de tous. La nouvelle école de filles, en cours d'achèvement au village des artisans, portera son nom, conclut-il en fixant Dorothy Weston Clarke.
L'allocution fut appréciée et les assistants reconnurent que l'héritier de lord Simon avait su dire ce que son grand-père eût dit.
Devant la tombe de Margaret Russell, Madge et Emphie, venues de Nassau, se réconcilièrent dans le deuil avec leur père et leur sœur Violet qui, jusqu'au dernier jour, avait soigné leur mère.
En s'entretenant avec les jumelles, à qui leur boutique de nouveautés coquines assurait de bons revenus, Charles Desteyrac eut confirmation de la prochaine arrivée de son ami, Albert Fouquet. En route pour la France, il viendrait passer une partie de l'automne aux Bahamas. Les deux sœurs révélèrent en minaudant ce que l'ingénieur ignorait encore : Albert allait épouser l'une d'elles.
– Peut-on savoir laquelle ? demanda Charles avec malice.
– C'est encore un secret, dit Madge.
– Mais son choix est fait, assura Emphie.
Jusque-là, la correspondance, au départ de Cornfield Manor, certaines semaines abondante, était dictée à un mulâtre, ancien élève de Margaret Russell. Par distraction, ce scribe prenait parfois avec l'orthographe des libertés qui mettaient lord Simon en fureur et obligeait le coupable à recopier des versions corrigées.
Dès qu'il prit la direction des affaires, Pacal décida de créer un véritable secrétariat, du genre de celui qu'il avait vu fonctionner à l'étude des Artcliff, à New York.
– Pourquoi ne pas adopter ce qu'offre le progrès pour faciliter le travail ? dit-il à son père, après lui avoir fait part de ses intentions.
– C'est bien pourquoi j'ai fait venir de France une de ce nouvelles machines à reproduire les plans, répondit Charles.
Pacal proposa aussitôt à Violet Russell, son amie d'enfance, libérée par la mort de sa mère, de travailler pour lui. Depuis quelques mois, Violet copiait sur une machine à écrire américaine, un peu vieillotte, les sermons de son père et avait acquis assez d'aisance pour taper plus de trente mots à la minute. Elle accepta avec gratitude l'offre de Pacal, qui commanda pour elle, à New York, une machine à écrire récente, de marque Remington.
On entendit bientôt crépiter, à Cornfield Manor, la typewriter de Violet Russell, promue secrétaire, avec autorité sur le copiste mulâtre, réduit au rôle d'archiviste.
À la fin de l'été, tous les documents officiels intéressant son avenir furent transmis à Pacal par le gouverneur des Bahamas. Bien que dépité de n'avoir pu organiser, pour lord Simon, des funérailles pompeuses, avec déplacement du gouvernement, le représentant de la reine
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