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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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chemins qui conduisaient aux exploitations agricoles, au village des artisans, à celui des pêcheurs ou des Arawak. Il apparaissait sans être annoncé chez un fermier, dans le domaine résidentiel des marins, à l'Alister Cornfield Hospital, devant les entrepôts du port occidental, sur le chantier naval du port oriental. Il poussait parfois jusqu'au phare du Cabo del Diablo et ne dédaignait pas de faire accrocher son wagon au chemin de fer pour accompagner, du sud au nord de l'île, un chargement d'éponges ou d'écaille de tortue.
     
    Il voyait tout d'un œil neuf, d'un regard possessif, plus attentif qu'autrefois. « Rien ne doit échapper à l'œil du maître », disait lord Simon, et son héritier avait fait sienne cette devise.
     
    Il prit conscience, au fil des semaines, que Soledad, plaque de corail posée sur l'Océan, était un canton de l'Eden. Par grand beau temps, il faisait halte sur un redan de la côte, pour jouir du lent déroulement des vagues. Dépourvues de toute hargne écumante, elles n'offraient alors, sous le soleil qu'un brasillement onctueux. Sous les palmiers qui dodelinaient au souffle de l'alizé, le cavalier trottait dans le val du Cornfieldshire, paisible comme un jardin de couvent. L'île ignorait le vrai silence, car les oiseaux, de la mouette criarde au moqueur sifflotant, emplissaient l'air de cris, de chants, de caquètements, de piaillements, auxquels se mêlaient le bourdonnement des insectes et, en fond sonore, le barrissement en mineur de l'Océan. Si quelque puissance avait fait taire les oiseaux, immobilisé les vagues, étouffé les vents, les insulaires se seraient cru abandonnés des dieux. Cette symphonie des babils exotiques, andante ou scherzo suivant l'heure, composait, de l'aube à la nuit, une ambiance de vie primitive, saine et protégée, dans un étalage de luxe dû à l'opalescence du ciel, à la franchise de la lumière, aux bigarrures et aux senteurs de la nature tropicale.
     
    De retour à Cornfield Manor, il se faisait servir le breakfast, qu'il partagerait parfois avec son père, venu parler travaux. Il passait ensuite dans son bureau, pour se mettre à l'étude des dossiers en cours et distribuer le travail à Violet Russell et à Matthieu Ramírez, le fils de Manuela et du père Taval. Déclaré de père inconnu, comme tous les enfants du couple, le jeune comptable portait le nom de sa mère.
     
    Quand il levait les yeux de son travail, Pacal sentait peser sur lui le regard, d'une sévérité voulue mais rassurante, de lord Simon, en uniforme de colonel des lanciers du Bengale. L'héritier avait fait descendre ce portrait des combles, où son grand-père l'avait relégué, parce que le peintre n'avait « pas été capable de trouver le jaune bouton d'or exact » de sa vareuse.
     

    En mai 1885, la mort, à Paris, de Victor Hugo et ses funérailles, dignes d'un monarque, retinrent moins l'attention des Bahamiens que la disparition, à soixante et onze ans, d'Edwin Charles Moseley, fondateur du quotidien bahamien The Nassau Guardian , dont le premier numéro avait été publié le 23 novembre 1844.
     
    Cet ancien maître d'école, devenu journaliste, avait fait son apprentissage au Times de Londres et au Yorkshire Post , avant de rejoindre son père, juriste à Nassau. Éditeur assistant au Bahamas Argus , fondé en 1831, il avait décidé, avec l'appui des autorités, de créer un quotidien The Nassau Guardian , qui devait, en 1857, absorber la Bahamas Gazette , fondée par le loyaliste John Wells en 1784. Le fils aîné d'Edwin Charles Moseley, Alfred Edwin Moseley, ancien secrétaire privé du gouverneur Walker, membre de la General Assembly , allait prendre la succession de son père, à la tête du journal le plus lu dans l'archipel.
     

    Une autre disparition devait mettre en effervescence la communauté des anciens planteurs sudistes. Quand ces émigrés américains, installés aux Bahamas, apprirent la mort, le 23 juillet, à Saratoga, du général Ulysses Simpson Grant, ils manifestèrent une joie que beaucoup de Bahamiens jugèrent indécente. Comme soldat, Grant avait infligé de cuisantes défaites aux Confédérés, notamment à Vicksburg et dans la vallée du Mississippi. Comme républicain radical, devenu dix-huitième président des États-Unis en 1868, réélu en 1872, il avait conduit une politique coercitive contre les États rebelles, en soutenant les ambitions des carpetbaggers , politiciens rapaces, profiteurs des

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