Un paradis perdu
Dave.
Il rentrait d'un voyage à New York, où il avait circulé à bord du chemin de fer aérien et de tramways tirés par des câbles.
– Dans cette ville, qui semble grandir chaque semaine, où l'on empile étage sur étage, pour faire des maisons de plus en plus hautes, au milieu de gens affairés, qui courent d'un quartier à l'autre, en flux hébétés, inversés suivant les heures, je me suis vu dans la situation d'Hans 9 , privé de sa flûte de cristal, au milieu des rats, dit le médecin.
– On est donc mieux sur notre île, sir , dit Sharko en servant le whisky.
– Oh ! le progrès finira bien par nous atteindre. Regardez ce qui se passe à Nassau. On prévoit la construction d'une centrale, qui produira de l'électricité. Sur recommandation de notre jeune lord, on a demandé à l'ami de Charles Desteyrac, l'ingénieur Fouquet, mari d'Emphie Russell, de participer à l'étude du projet, révéla Philip Rodney.
– Ça va coûter cher, cette usine à courant électrique. Où prendront-ils l'argent ? demanda Gilbert Artwood, l'officier mécanicien de Phoenix II .
– Le Colonial Office paiera, encore que la faillite de la Public Bank de Nassau 10 , qui a perdu douze mille livres, ne va pas faciliter le crédit, dit Lewis Colson.
Bien qu'on eût toujours affiché, sur Soledad, un solide optimisme face aux aléas de la vie, tous savaient que le bilan agricole de l'année 85 serait déficitaire. Des pluies trop fréquentes avaient amoindri les récoltes, que les rats et les crabes de terre, affamés, dévoraient. On considérait que la production de fruits et de légumes avait diminué de cinq pour cent.
Andrew Cunnings rapporta que le consul des États-Unis à Nassau avait dit à une de ses amies que les Bahamiens appauvrissaient leurs terres.
– D'après cet Américain, les indigènes veulent ignorer les fertilizers 11 , refusent de pratiquer la rotation des cultures, qui laisse reposer le sol, et continuent à cultiver comme les premiers colons. Le consul a évalué à cinquante pour cent, en cinq ans, la perte de production de l'archipel, par la seule faute des insulaires, précisa l'officier.
– Les Bahamas ne sont pas le Minnesota, s'insurgea Uncle Dave.
– Tout ne va pas si mal. À South Bimini, ils ont récolté sept mille noix de coco, qu'ils ont vendues en Floride où l'on paie mieux qu'à Nassau, et un Américain – encore un ! – va établir une plantation de ricin, pour faire de l'huile à lubrifier les machines, dit Philip Rodney.
Après un automne maussade, agité par une succession de tempêtes tropicales, qui perturbèrent la navigation et nuirent aux exportations, les fêtes de fin d'année renouèrent à Cornfield Manor avec les fastes du temps de lord Simon. Les intimes reçurent des cadeaux, choisis avec soin par Ottilia, hôtesse obligée, et les invités d'après dîner célébrèrent, en dansant valses et polkas, l'avènement de 1886.
Parmi tous les souhaits adressés à lord Pacal, le plus osé fut celui de Dorothy Weston Clarke, qui dit exprimer le vœu de tous.
– Que vous nous ameniez, dans l'année, à Soledad, une épouse anglaise, dit-elle.
– Je mettrai une annonce dans The Times ! répondit lord Pacal en riant.
1 Grand coucou des savanes à longue queue.
2 Il prêta serment le 4 mars 1885.
3 Cité par Élisabeth-Ann Coleman dans le catalogue Femmes fin de siècle, 1885-1895 . Musée de la mode et du costume, Palais Galliera, éditions Paris-Musées, 1990.
4 Paiement en produits alimentaires et objets de première nécessité.
5 L'histoire bahamienne a retenu les noms de ces cinq Noirs : Israel Lowe, John D. Lowe, David Tynes, William Alfred Johnson et Joseph Whylly.
6 Il peignit aussi le Pont de Glass Window , situé sur l'île d'Eleuthera, aujourd'hui au British Museum, à Londres, et les Pêcheurs d'éponges des Bahamas , collection Karen A. et Kevin W. Kennedy.
7 Elizabeth Barrett Browning, Sonnets portugais , dans Robert et Elizabeth Browning ou la plénitude de l'amour humain , Charles Du Bos, éditions Klincksieck, Paris, 1982.
8 Nom du pavillon que l'on hisse sur un navire pour montrer qu'on a compris un signal.
9 D'après la légende germanique le Preneur de rats , dont Maurice Vaucaire et George Mitchell tireraient, en 1906, un opéra-comique en trois actes, sur une musique de Louis Ganne.
10 Fondée en
Weitere Kostenlose Bücher