Un paradis perdu
dollars, décida aussitôt de créer un club, où il accueillerait ses riches amis. Le projet prit vite de l'ampleur et, quand il regagna New York, sa décision était prise : il ferait de Saint Augustine une station d'hiver où l'on jouirait, en plus de la mer, du doux climat, de l'exubérante flore subtropicale, d'un luxe raffiné et de tous les plaisirs sportifs et mondains. De surcroît, dans un site historique où s'étaient livrées de sanglantes batailles entre Espagnols et Indiens, puis entre Espagnols et protestants français et enfin, plus récemment, en 1842, entre Seminole et Américains.
Brûlée par le pirate anglais Francis Drake en 1586, bombardée en 1750 par le général anglais James Oglethorpe, fondateur de la Georgie et défenseur des huguenots, la ville située sur une côte plate et sablonneuse, entre deux fleuves, face à l'île Anastasia, ne conservait, comme vestige de son tumultueux passé, qu'un couvent de franciscains. Les bâtiment construits en 1690 avaient été transformés en caserne par les Américains. Seuls deux piliers de l'ancienne porte espagnole de la ville et le cimetière, où reposaient les huguenots français de l'amiral de Coligny, massacrés par Menéndez en septembre 1565, attestaient de la prospérité et des malheurs de la cité.
Pour attirer et conduire la clientèle fortunée jusqu'à Saint Augustine, où l'on n'accédait encore que par de mauvaises routes, Flagler décida de prolonger la Savannah, Florida and Western Railroad, dont le terminus était Jacksonville, capitale de la Floride. Devenue la Florida East Coast Railway, la nouvelle ligne côtoierait les Everglades où, dans les marais peuplés d'alligators, tentaient de survivre les derniers Seminole. Les touristes seraient certainement intéressés par une incursion dans cette nature primitive, dont les moustiques défendaient l'accès aux peaux sensibles !
Restait à construire un palace digne de ce nom. Fort sagement, Flagler demanda à ses architectes d'adopter le style mauresque espagnol, dont subsistait un échantillon, le couvent des franciscains.
Après trois ans de travaux et un million sept cent cinquante mille dollars dépensés, le résultat, que Pacal découvrit le 15 janvier, avec deux cents invités, qui tous possédaient au moins dix millions de dollars en banque, étonna le Bahamien par son originalité et sa grandiloquence hispano-mauresque.
De part et d'autre d'un grand jardin de plantes tropicales, rafraîchi par des fontaines, se faisaient face les longs bâtiments jumeaux ocre rosé de l'hôtel Ponce de León. Chacun offrait, sur un rez-de-chaussée à arcades, deux étages d'appartements, ceux du second ouvrant sur une loggia. Des tours carrées, au toit pointu, s'élevaient aux extrémités des bâtiments. On accédait à ceux-ci par des galeries claustrales, à partir d'un porche monumental coiffé d'un toit en pagode.
Sous le soleil d'hiver, l'ensemble méritait bien le nom de palace subtropical que lui donnaient les journalistes. À l'intérieur de l'hôtel se succédaient salons, galeries, salles à manger, de bal, de jeux, salon de correspondance, fumoir. On trouvait aussi un joaillier, une marchande de mode, un antiquaire, une boutique à journaux. Tout semblait organisé pour que les clients puissent dépenser leur argent sans avoir à sortir du domaine, gardé par des portiers en uniforme.
Lors de la visite inaugurale de l'hôtel Ponce de León, ainsi nommé en souvenir du découvreur de la Floride, lord Pacal fit la connaissance de l'homme de confiance de Rockefeller, parfois son exécuteur des basses œuvres, soupçonnaient certains. Flagler montrait une cinquantaine conquérante et l'assurance que donne la fortune à ceux qui, partis de rien, sont arrivés, par la puissance financière, au sommet de l'échelle sociale. On le devinait au comble de la satisfaction quand ses invités distillaient des compliments le plus souvent sincères.
La décoration du hall et des salons illustrait, par des fresques, des tableaux et des inscriptions, l'histoire de la Floride et le souvenir du grand navigateur. On voyait aussi, dans des vitrines, des flèches des Seminole, des arquebuses espagnoles, des débris de poteries trouvés lors des travaux de terrassement.
Le directeur de l'hôtel, ayant terminé son discours de bienvenue et le résumé emphatique du passé de Saint Augustine, duquel on pouvait déduire que la ville venait d'être
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