Un paradis perdu
ça peut faire mal, dit-elle, plaintive, en s'abandonnant.
La souffrance dut être brève et légère car, au petit matin, quand Pacal quitta le lit, laissant sa femme endormie, il avait appris qu'une puritaine, dès lors que le mariage lui donne libre accès aux ébats de l'amour, est prête à en user et veut connaître tout ce qu'on lui a caché. Il ramassa la chemise de nuit de Susan, jetée au cours de la nuit, et quitta la chambre.
Rasé, vêtu de sa tenue de croisière, pantalon blanc, veston bleu marine à boutons dorés, lord Pacal se rendit à la salle à manger et trouva les œufs brouillés, les toasts et les confitures meilleurs que jamais. Plein d'un entrain neuf, heureux, enfin amoureux de Susan, il grimpa sur la passerelle, où le second lieutenant, l'officier mécanicien Gilbert Artwood, assurait le quart.
– Le soleil de la mariée est au rendez-vous, my lord . Temps splendide, mer belle, gentil vent d'ouest, nous filons douze nœuds. Ce soir, nous serons sortis de la zone des glaces flottantes et, dans deux jours, nous toucherons aux Açores, dit-il.
Comme autrefois son grand-père, lord Pacal parcourut le pont, visita les machines, s'entretint avec le maître d'équipage, fit servir à l'équipage un pink gin bien dosé et demanda qu'on établît le toit de toile sur la plage arrière, afin que les passagères puissent se prélasser à l'abri des escarbilles rejetées par la cheminée.
Vêtue d'un tailleur blanc, Susan l'attendait dans leur salon.
– Non seulement vous m'avez abandonnée, vilain mari, mais vous me laissez mourir de faim ! lança-t-elle gaiement.
– La cloche du lunch va sonner dans quelques minutes. Nous avons un très bon maître coq, je suis certain que le menu vous plaira. Par respect pour la fonction de John Maitland, seul maître à bord après Dieu, nous prendrons, si vous le voulez bien, ce premier repas à la table du commandant.
En prononçant ces mots, lui revint brusquement à l'esprit le fait que Susan ignorait encore la présence sur le vapeur de sa tante Fanny. Depuis l'appareillage, personne n'avait vu cette dernière, sauf, sans doute, le premier lieutenant Cunnings. La rencontre entre tante et nièce risquait de se faire en public, à l'heure du repas. « Quelle sera la réaction de Susan ? » se demanda Pacal. Pour prévenir tout incident, il décida d'informer sa femme.
– Susan chérie, je dois vous annoncer qu'une surprise vous attend. Comme je crains que vous ne restiez seule à Londres, quand je devrai voyager pour mes affaires, je me suis permis de demander à votre tante Fanny de nous accompagner. Elle est à bord, avoua Pacal.
– Cher, bien cher mari, ce n'est pas une surprise. Fanny m'avait mise dans la confidence et demandé de préparer moi-même ses bagages, de les mettre avec les nôtres, pour que les domestiques ne se doutent de rien. Je suis contente qu'elle soit du voyage.
– J'ignorais l'étendue du complot, dit Pacal en riant.
– Je sais aussi que le lieutenant Cunnings fait la cour à Fanny, depuis notre séjour à Soledad. Et cela lui plaît fort. Quand je me suis inquiétée des proportions que prenait ce flirt auprès de lady Ottilia, elle m'a dit une chose que je n'ai pas très bien comprise. Elle m'a dit : « Mon enfant, moi qui ai longtemps, bien longtemps, attendu de connaître le bonheur d'un amour partagé, j'imagine les aspirations de Fanny. Laissez-la courir sa chance d'être aimée de qui lui plaît. » Pourquoi lady Ottilia, qui fut, m'a dit le pasteur Russell, une vraie beauté, a-t-elle attendu si longtemps l'amour ? insista Susan.
– Chaque être a son mystère, Susan, se contenta de répondre Pacal.
– Je suis prête à aimer lady Ottilia, comme la mère que je n'ai jamais connue, acheva la jeune femme.
Les retrouvailles entre Fanny et sa nièce furent celles de complices, heureuses de vivre ce qu'elles avaient espéré. Les Bostoniennes formèrent bientôt, avec Myra Maitland, un charmant trio papoteur, qui établit ses rites : thé en commun, lecture, musique, farniente sur la plage arrière.
Après l'escale aux Açores, la mer se fit plus houleuse mais les passagères supportèrent vaillamment tangage et roulis. Susan trouva même que les mouvements du bateau invitaient aux ébats amoureux, auxquels elle avait pris goût.
– Une de mes amies récemment mariée m'avait dit, comme tante Fanny : « La première
Weitere Kostenlose Bücher