Un paradis perdu
fois ce sera douloureux », mais elle avait ajouté : « Après on ne peut plus s'en passer. » Je suis un peu honteuse de penser qu'elle a peut-être raison, avoua la jeune femme, mimant la confusion.
À Liverpool, les jeunes mariés prirent la route de Manchester, Pacal devant visiter sa filature de Hyde et la lainière de Chipping Campden avant de se rendre à Ipswich, où prospérait son élevage de moutons, et au château de Sansbury, dont le locataire, un vieux juriste londonien, ami de lord Simon, venait de mourir. Le notaire affirma qu'il n'aurait aucun mal à lui trouver un successeur, la mode étant, chez les nouveaux riches de la City, de se faire châtelains à bon compte.
Susan tint à accompagner son mari dans ses déplacements. Fanny préféra rester à Liverpool avec Myra Maitland, pendant que le Phoenix II , conduit aux chantiers de la Mersey, recevrait les modifications prévues. Elle rejoindrait les jeunes mariés à Londres, dès qu'ils seraient installés à Cornfield House.
– C'est pour ne pas quitter Andrew Cunnings que Fanny a voulu demeurer à Liverpool. Je suis sûre qu'ils sont amants. Toutes les fois que je suis entrée dans la cabine de ma tante, pendant la traversée, j'ai deviné qu'un homme y avait passé la nuit, ce qu'elle n'a pas nié. Je la crois même assez fière de sa conquête, observa Susan.
– En tout cas, cette aventure lui réussit. Elle a rajeuni de dix ans. Je n'ai jamais trouvé Fanny aussi agréable à regarder, vive, enjouée. Elle affiche une joie de vivre qui fait plaisir à voir.
– Mais elle a plus de quarante ans !
– Une beauté qui se conserve au-delà de la jeunesse est une faveur des dieux. Un poète grec a dit : « Vous qui ne fuyez pas les désirs bouillonnants, vrais amants, venez ici, sans regarder au nombre des décennies 9 », cita Pacal.
– J'appréhende la réaction de tante Maguy. Fanny m'a dit lui avoir écrit une lettre qu'elle a fait mettre à la poste par votre ami Thomas, après notre départ.
Les époux surent bientôt à quoi s'en tenir. En arrivant à Belgravia Square, en pleine saison londonienne, Pacal trouva des lettres de son père et de Thomas Artcliff. Le premier, rentré avec Ottilia et le pasteur Russell à Soledad, donnait des nouvelles de l'île.
Les entrepôts de G. W. Higgs à Hovelton, sur Hog Island, par où transitaient éponges, écaille de tortue, fruits et légumes des domaines Cornfield, avaient été détruits par un incendie. Higgs cherchait à emprunter de l'argent pour reconstruire. Une nouvelle banque venait d'ouvrir à Nassau et le gouverneur, sir Ambros Shea, encourageait la culture du sisal pour compenser le marasme des salines des Inagua Islands. Déjà des Britanniques se proposaient d'investir dans des plantations nouvelles. On déplorait, à Cornfield Manor, l'attaque cérébrale dont avait été victime Pibia. « En attendant ton retour, j'ai demandé à Timbo d'assurer les fonctions de majordome, bien qu'en ton absence on ne donne aucune réception au manoir », concluait Charles Desteyrac.
Thomas, rentré à New York, rapportait les événements vécus après le départ des mariés et la fugue de Fanny.
« Pendant les trois jours où je suis resté à Boston, tante Maguy alterna colère et abattement. Ses imprécations atterraient les domestiques. Je l'ai entendu traiter Fanny de gourgandine. Elle a même convoqué son notaire pour modifier son testament. Elle entend priver Fanny de son héritage, car elle voit en Cunnings – je te rapporte ses propos – « un gaillard plus intéressé par la fortune que par les derniers élans lubriques » de sa nièce ! Elle se dit très déçue par Susan, depuis qu'elle a appris, par un domestique, que la jeune mariée avait aidé à la préparation de la fugue de Fanny. Dans ses périodes de calme ou d'épuisement, la vieille fille est capable de rester, pendant des heures, silencieuse, ce qui inquiète Arnold Buchanan, lequel n'est finalement pas mécontent de savoir sa fille, c'est-à-dire ta femme, assistée de sa tante. »
Pacal communiqua ces informations à Susan qui, dans le même temps, avait reçu une lettre de Maguy. C'est en pleurant qu'elle en révéla la teneur à son mari.
« Ta conduite, ma chère petite – tu sais à quoi je me réfère – me peine beaucoup. Si tu veux réparer le méfait auquel tu as participé, par naïveté, je veux bien le croire, en
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