Un paradis perdu
mines par les Britanniques. C'est en représailles aux dernières attaques contre nos compatriotes que le gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté a décidé d'envoyer, à Kumasi, un corps expéditionnaire, commandé par sir Joseph Garnet Wolseley, compléta Philip Rodney.
– Et, comme on a besoin de soldats habitués aux fortes chaleurs, le ministre de la Guerre prend des hommes dans le régiment de Nassau ! Pourquoi n'envoie-t-il pas des Anglais, des Gallois ou des Écossais, ça leur ferait voir du pays ! pesta le docteur Kermor.
– Les Anglais arriveront, comme d'habitude, quand la région aura été pacifiée par nos Indiens, risqua Charles Desteyrac.
Personne ne releva l'impertinence du propos. Seul Sharko acquiesça, d'un large sourire. Le mulâtre désapprouvait, sans pouvoir le dire devant les membres du club, qu'on expédiât en Afrique de jeunes Bahamiens, qui risqueraient leur vie pour John Bull, tandis que des militaires blancs prendraient de confortables quartiers à Nassau.
En août, une lettre de Robert Lowell anonça à Charles Desteyrac que son fils Pacal était admis au Massachusetts Institute of Technology. Le garçon avait subi avec succès les interrogations destinées à juger de sa capacité à suivre les cours du MIT. Bob ajoutait : « La maturité de Pacal et ses connaissances en mathématiques et en sciences, bien supérieures à celles de la plupart des nouveaux étudiants, ont étonné mes collègues. Ces derniers ne lui ont cependant pas facilité les choses, en raison du fait que votre fils vient d'une colonie britannique, dont les natifs ne peuvent pas être de purs Blancs, ce que révèle discrètement, mais révèle tout de même, le physique de Pacal. »
Quelques jours plus tard, la lettre mensuelle de l'adolescent confirmait son admission et donnait le détail des cours auxquels il était inscrit. En plus de ceux du MIT, il avait obtenu d'assister, à Harvard, au cours facultatif du professeur Francis Bowen, qui enseignait John Locke et la philosophie du XVIII e siècle, et à celui du Français Ferdinand Bocher, chargé de faire apprécier aux jeunes Américains Molière et les comédies françaises au XVII e siècle. « J'ai aussi pu me glisser, grâce à un ami que je me suis fait, Thomas Artcliff – son père est architecte à New York –, dans la classe de James Russell Lowell 4 . C'est le plus populaire des professeurs de Harvard, car il a succédé, dans la chaire de littérature moderne, à Henry Wadsworth Longfellow, le poète duquel je viens de lire Evangeline . C'est un long poème qui raconte le douloureux destin des Acadiens, colons français, chassés du Canada par les Anglais en 1755. »
Lord Simon avait secrètement espéré qu'on ne voudrait pas de son petit-fils à Harvard, ce qui lui eût permis de proposer pour Pacal une éducation anglaise à Eton. Il ne laissa rien paraître de sa déconvenue et se contenta de soupirer.
– On nous enlève donc Pacal pour quatre années. J'espère que nous le verrons aux vacances. S'il ne vient pas à Soledad, nous irons le voir à Boston, déclara-t-il, péremptoire.
En septembre, le premier ouragan de la saison traversa l'archipel. Il causa peu de dégâts dans les îles, mais la forte marée qui, comme souvent, succéda à la tempête tropicale, submergea une partie de New Providence et envahit Nassau. L'eau arriva jusqu'au palais du gouvernement, balayant tout sur son passage. Les rez-de-chaussée furent inondés et le nettoyage des rues prit plusieurs jours, tandis que les débardeurs récupéraient caisses et ballots, enlevés des quais et malignement dispersés, à travers la ville, par le flux rageur, à l'intention des pillards.
Par l'hebdomadaire L'Illustration , envoyé par son ami Fouquet, Charles Desteyrac apprit que, le 20 novembre, le maréchal de Mac Mahon, arrivé au pouvoir après la chute de Thiers, le 24 mai 1873, avait été confirmé pour sept ans président de la République, deux semaines après que le général Ulysses Grant eut été réélu président des États-Unis.
Cette république, troisième du nom, ne pouvait satisfaire l'ingénieur, fidèle à la conception qu'en avait eue son père. Adolphe Thiers avait tenté, après la sanglante répression de la révolution communarde, d'imposer ce qu'il nommait lui-même une « république tempérée », propre à contenir « le communisme des ouvriers qui rendrait tout commerce
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