Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
navigation autour de l'île, à bord d'un petit voilier bahamien, récemment livré par le chantier des Albury de Man O'War Cay. Pacal choisit une journée radieuse, lors d'une halte à Deep Water Creek, pour annoncer à Charles qu'il avait acquis en France le domaine, autrefois abandonné par leurs ancêtres, et qu'il comptait rendre à la vieille gentilhommière auvergnate son charme rustique et améliorer son confort.
     
    Charles remercia son fils en le serrant dans ses bras, autant pour montrer que pour cacher son émotion. L'ingénieur voyait, dans cette décision de Pacal, une claire volonté de confirmer leurs attaches françaises.
     
    – Puisque vos travaux d'adduction d'eau sont achevés, pourquoi n'iriez-vous pas passer quelques mois en France, avec Tatoti, pour diriger la restauration d'Esteyrac ? proposa Pacal.
     
    – L'idée est séduisante. Nous en reparlerons, dit Charles.
     
    Susan, aidée de lady Ottilia et du personnel du manoir, prépara la grande réception que son mari donna, le 5 avril 1890, à l'occasion du premier anniversaire de leur mariage. La grossesse, vaillamment supportée, conférait à la future mère un port majestueux.
     
    – M'ame Susan est une v'aie lady amé'icaine, décréta Timbo.
     
    – Il n'est de lady qu'anglaise, rectifia Sharko, le barman du Loyalists Club, venu préparer les cocktails.
     
    La fête, à laquelle participèrent tous les intimes du Cornfieldshire, fut chaleureuse, bien que Ma Mae, la cuisinière, considérant le teint de lis et de rose de sa nouvelle maîtresse, eût prédit que celle-ci portait une fille, alors qu'un garçon était souhaité par lord Pacal.
     
    Uncle Dave, appuyé sur sa canne, les Weston Clark – Dorothy percluse de rhumatismes, les cheveux teints, aigre et envieuse, lui, amer, s'estimant injustement traité par Dieu et les hommes –, le pasteur Russell, montrant la sérénité d'un cœur pur, Palako-Mata, cacique déjà chenu des Arawak, Lewis Colson, peu prolixe, résigné à la retraite, Philip Rodney, éternel grognon, les Maitland, fiers d'appartenir à une communauté hors du commun : tous portèrent des toasts aux époux avant que Pacal ne levât son verre, devant le portrait de lord Simon, génie tutélaire de Soledad, qui, dans son cadre tarabiscoté, posait sur l'assemblée un regard souverain.
     
    Quelques jours plus tard, l'annonce par un courrier envoyé de Nassau de la mort soudaine de Madge, une des jumelles Russell, belle-sœur d'Albert Fouquet, sema la consternation dans le Cornfieldshire. L'ingénieur disait attendre l'arrivée du père de la défunte, pour célébrer les funérailles. Pacal fit aussitôt mettre sous pression les chaudières de l' Arawak , commandé par Andrew Cunnings, pour transporter à New Providence, le vieux pasteur Russell et sa fille Violet. Charles Desteyrac et Uncle Dave décidèrent de les accompagner.
     
    Le climat imposant une mise en bière rapide, personne n'avait pu voir le corps de la morte, emportée par une imprévisible embolie. Après l'office à la Christ Church Anglican Cathedral, sur King Street, le cercueil fut porté à bord de l' Arawak , le pasteur souhaitant que sa fille reposât à Soledad, dans le caveau de famille, près de sa mère. Restait à accomplir une formalité macabre. D'après la loi, le coroner ne pouvait autoriser le transport d'un corps dans une île extérieure qu'après la formelle identification du cadavre. On dut donc ouvrir la bière devant le magistrat. Pour éviter cette épreuve à la survivante, anéantie par la disparition de sa jumelle, au pasteur et à Violet Russell, Uncle Dave, Charles Desteyrac et Cunnings se joignirent à Fouquet.
     
    Avec une conscience tatillonne, le coroner fit écarter le linceul, pour dévoiler un corps de femme âgée, mais intact. Pressés d'en finir, deux garants étant nécessaires, Uncle Dave et Andrew Cunnings signèrent le procès-verbal et le cercueil fut refermé.
     
    Durant l'opération, Albert Fouquet avait surpris le regard incrédule de Charles et sa brève hésitation quand l'officier de police lui avait demandé, comme aux autres, s'il reconnaissait la défunte.
     
    Avant qu'il ne quitte le bord, au moment de l'appareillage de l' Arawak , Desteyrac, jusque-là silencieux, retint son ami, qui restait à Nassau avec la sœur de la défunte, rendue muette par le chagrin.
     
    – La morte n'est pas Madge mais Emphie, lança brutalement Charles.
     
    – Comment peux-tu dire ça !

Weitere Kostenlose Bücher