Un paradis perdu
États-Unis, si proches de leurs îles, dit-elle, après avoir accueilli, en grande dame, les hommages des notables et reçu une gerbe de roses du gouverneur.
Si Pacal fut flatté par la déférente estime témoignée à sa femme, Fanny Cunnings estima que sa nièce avait, d'abord, été louangée comme épouse d'un baronet Cornfield, descendant de la plus ancienne famille anglaise des Bahamas. Elle trouva un rien exagérée l'obséquiosité de certains envers une Américaine plus naïve que modeste.
– Elle va se prendre pour Betsy Ross 4 , persifla-t-elle.
C'est pendant la traversée de retour vers Soledad que Susan annonça à son mari qu'elle attendait un deuxième enfant.
– J'espère que ce sera un garçon, un frère pour Martha. Nous l'avons, je crois, conçu en Floride. Il devrait voir le jour en janvier prochain. Comme je suis heureuse, dit-elle.
– Garçon ou fille, cet enfant sera le bienvenu, commenta Pacal en enlaçant sa femme.
Dès le lendemain, Susan ayant rappelé qu'elle souhaitait passer les derniers mois de sa grossesse à Boston, se posa la question de l'époque à retenir pour son passage aux États-Unis. Attendre novembre serait s'exposer au risque d'une traversée en fin de période des tempêtes et, peut-être, d'ouragans tardifs.
Lord Pacal aurait aimé que l'enfant attendu naquît à Soledad, surtout s'il s'agissait du fils espéré, mais les Buchanan avaient bien stipulé, dans le contrat de mariage de Susan, que ses enfants naîtraient à Boston et seraient, garçons ou filles, citoyens américains.
Les vieux marins, comme Lewis Colson et Philip Rodney, qui, depuis plus d'un demi-siècle, naviguaient entre États-Unis et Bahamas, savaient que le gros temps, les cyclones, qui se développaient parfois localement, et les ouragans, venus de l'Équateur, rendaient toute traversée hasardeuse entre août et octobre.
Lord Pacal donna loyalement le choix à sa femme.
– Ou vous partez pour Boston aux premiers jours d'août ou vous attendez décembre, résuma-t-il.
– Je suis prête à partir demain, si vous venez vous installer, avec moi, dans notre maison de Beacon Hill, dont je sais maintenant, par tante Maguy, qu'elle est prête à nous recevoir. Partir seule serait être bien longtemps séparée de vous, répondit-elle.
Lord Pacal prit le temps de la réflexion.
– Je vous accompagnerai, mais mon séjour à Boston sera de courte durée. Nous allons célébrer ici, l'an prochain, le quatre centième anniversaire du débarquement de Christophe Colomb sur l'île de San Salvador. Je dois, aussi, préparer la participation des Bahamas à l'Exposition universelle en cours d'organisation, à Chicago, précisa-t-il.
Au moment du départ, début août, surgit une complication ancillaire. Martha avait été sevrée et Paulina pouvait regagner la Nouvelle-Angleterre, libérée de sa fonction de nourrice. Lord Pacal, sachant que l'Italienne avait engagé un flirt avec un quartier-maître de la flotte Cornfield, ne fut pas étonné quand elle demanda à rester à Soledad, le marin lui ayant promis le mariage.
– Ainsi, votre prochain bébé aura un père connu, fit observer Pacal, narquois.
– My lord , je connais bien le père du bébé que j'ai perdu. Certes, il était tout bleu à la naissance, à cause du cordon qui l'avait à moitié étranglé, mais je peux dire que c'est son père qui l'a laissé mourir, pour protéger sa réputation, confessa-t-elle, humiliée par la réflexion du lord.
– Comment cela ?
– C'était le médecin, my lord . Celui qui a mis au monde mon bébé.
– Vous parlez du docteur Gerald Barrett !
– Oui, my lord . Je vais tout vous dire, car je suis pas una sgualdrina 5 . J'étais lingère chez les Barrett et, comme les autres filles de service, j'ai dû en passer par où le docteur voulait. Sinon, j'aurais perdu ma place et j'en aurais pas trouvée d'autre à Boston, my lord . J'ai du chagrin, d'être séparée de la petite Martha, si douce et gentille. Mais, gardez-moi à Soledad, je vous en prie, my lord . Ici, je serai heureuse avec un brave Irlandais, supplia-t-elle.
Lord Pacal accéda à ce souhait et décida d'inviter Susan à choisir un nouvel accoucheur. La clientèle huppée du docteur Barrett ne pouvait ignorer sa paillardise, à coup sûr divulguée, d'une office à l'autre, par la gent domestique. Seule, la dissimulation
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