Un paradis perdu
pasteur Russell et le cacique des Arawak, Palako-Mata, à l'accompagner, à bord du Phoenix II , pour une croisière au sud-est de Soledad, qui les conduirait à Watling Island. Là, ils assisteraient, en compagnie des autorités de la colonie, à l'inauguration d'une stèle, érigée par le journal Chicago Herald , sur les lieux où Christophe Colomb était censé avoir débarqué, quatre cents ans plus tôt.
Au cours de la traversée, entre deux grains malveillants, fut ranimée la question dont les insulaires débattaient depuis plusieurs générations. Watling, du nom du pirate George Watling, qui avait pris possession, vers 1680, d'une île autrefois nommée San Salvador, était-elle bien le lieu d'atterrissage de l'explorateur espagnol ?
Les Arawak, descendants des Lucayens, premiers occupants, déportés à Cuba par les Espagnols, n'en doutaient pas et préféraient appeler l'île aux vingt-huit lacs de son nom indien : Guanahani. En revanche, les habitants de Cat Island contestaient l'authenticité du site et tentaient de démontrer, avec l'aide de géographes américains, que c'était sur leur île, située à une cinquantaine de milles au nord-ouest de Watling, que Colomb avait pris terre dans le Nouveau Monde 8 .
Les habitants de Watling demandaient depuis des années au gouvernement bahamien et au Colonial Office de rendre à leur île le nom de San Salvador, donné par Christophe Colomb, en reconnaissance au Saint Sauveur qui, le 12 octobre 1492, avait mis fin à son errance océanique 9 .
Tandis qu'à Chicago le vice-président des États-Unis, Levi Parsons Morton, posait, avec un an de retard, la première pierre de The World's Colombus Exposition , qui marquerait le quatre centième anniversaire de la découverte de l'Amérique, sur l'île Watling fut dévoilé, au bord de l'Océan, un globe de marbre, posé sur un piédestal de calcaire corallien. Il portait en lettres d'or : « On this spot Christopher Colombus first set foot upon the soil of the New World. Erected by the Chicago Herald . 1892 10 ».
Le représentant du gouverneur des Bahamas donna aussitôt lecture de l'extrait du journal de bord de Christophe Colomb, en date du vendredi 12 octobre 1492.
« À la deuxième heure après minuit, la terre apparut, distante de deux lieues. Ils carguèrent les voiles, ne gardant que le tréou, qui est la grande voile sans bonnettes, puis se mirent en panne, temporisant jusqu'au jour du vendredi, où ils arrivèrent à une petite île des Lucayes qui, dans la langue des Indiens, s'appelait Guanahani.
« Ils virent alors des gens nus, et l'Amiral se rendit à terre, dans sa barque armée, avec Martín Alonzo Pinzón et Vicente Yañez, son frère, qui était capitaine de la Niña . L'Amiral déploya la bannière royale et, les capitaines, deux de ces étendards à croix verte que l'Amiral avait pour emblème 11 . »
Cette lecture convainquit les insulaires que leur île était bien celle que Dieu avait élue entre toutes pour accueillir le plus illustre découvreur. Autre preuve que San Salvador jouissait de la protection divine : de toutes les îles de l'archipel, c'était celle où l'on vivait le plus longtemps. En 1886, Samuel Hunter était mort à cent dix ans, plus jeune toutefois que son père, disparu, assurait-on, à cent vingt ans !
De retour à Cornfield Manor, lord Pacal fut prévenu par Violet de la santé déclinante d'Uncle Dave. Le vieux médecin refusait les invitations et ne quittait plus sa maison du village des artisans.
– Il a souvent demandé quand vous seriez de retour. Je crois qu'il attend votre visite, dit la secrétaire.
Pacal fit aussitôt atteler son boghei et se rendit au chevet de celui que tous les insulaires, de toute race et de toute condition, vénéraient à l'égal d'un homme-médecine des Arawak. Il trouva le vieillard sur la petite galerie de sa maison, allongé sur une méridienne de rotin, les joues creuses, le teint gris, l'œil atone.
– Ah, je t'attendais. Mon garçon, mon cœur s'est, deux fois, arrêté de battre ces jours-ci. Chaque fois, il s'est remis en marche, vieille machine usée qui a fait son temps. Le prochain arrêt sera définitif. Le petit Ramírez est du même avis. Aussi, j'avais besoin de te voir arriver, histoire de prendre congé décemment.
Pacal n'était pas de ceux qui mentent, pour rassurer et donner une espérance de vie fallacieuse à qui sait
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