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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ainsi, nous regretterions, ma femme et moi, de ne point vous voir », concluait MacTrotter.
     
    Lord Pacal, qui n'était pas dupe de cette précaution épistolaire, dicta, à Violet, des félicitations et des vœux de bonheur pour les époux et dit son regret d'être absent lors de leur voyage d'été.
     
    – Faites envoyer le traditionnel bol à punch aux époux. Mais, sans le blason Cornfield, naturellement, ordonna Pacal, amusé.
     
    Le courrier délivré pendant son récent séjour à Nassau contenait une autre nouvelle, triste celle-là. Le père Trévol lui adressait, comme chaque mois, une courte chronique d'Esteyrac. « La guerre a durement éprouvé notre village. Sur les dix-sept mobilisés, cinq ne sont pas revenus, dont le fils du maire et le mari de Ninette, tué aux Éparges. La voilà bien seulette car sans enfants. Et nous voilà tous sans maréchal-ferrant. J'ai dit à Ninette qu'elle pourrait peut-être, quand vous serez chez nous, vous servir à plein temps. Ça lui changerait les idées et ça lui ferait un peu plus de sous, vu que la voilà sans mari. »
     
    Lord Pacal répondit aussitôt qu'il engageait – dès réception de sa lettre – Ninette à son service, à l'année. « Installez-la, dès maintenant, au château. J'y viendrai, l'année prochaine sans doute, pour un long séjour », répondit-il à Trévol.
     

    Au cours de l'année, lord Pacal, fidèle à son mode de vie bien réglé, prit conscience sans plaisir qu'il avait vieilli avec son île. Il vivait avec elle depuis le temps de l'éclairage à la bougie, quand toutes les maisons étaient de bois, les chemins de terre battue, quand le petit train de lord Simon était une curiosité, avant que son père n'érige le phare du Cabo del Diablo. En ce temps-là, les insulaires, derniers Arawak ou Noirs, descendants d'esclaves, ne quittaient pas Soledad pour devenir valets de chambre, portiers ou serveurs dans les hôtels de Nassau, ou s'exiler en Floride, pour construire les chemins de fer de Flagler. Soledad, sous le règne des Cornfield, était un exemple du bon ton colonial à la mode britannique. Cette originalité d'un territoire minuscule qui, au cours des siècles, avait réussi le très séduisant amalgame du passé indien, de l'épisode espagnol, de la possession anglaise et de l'apport français dû à l'ingénieur Charles Desteyrac, était peut-être à la veille de disparaître. Devant le risque d'américanisation, que George ne manquerait pas d'encourager, lord Pacal se demandait si ce passé, aimablement composite, n'était pas vue de l'esprit. Henry James avait écrit, au cours d'une visite à sa chère ville de Boston : « Tout ce qui a réussi à vivre assez longtemps pour être conscient de sa note est à l'occasion capable de faire sonner cette note. » Or la note Soledad, sur le clavier du Temps, ne sonnait plus qu'au crépuscule qui, estompant tout le neuf, ne laissait percevoir que l'île primitive. Mais bientôt, pour entendre ce que James nommait la note particulière, personnelle, l'identité unique, il faudrait tendre l'oreille et ne plus faire confiance qu'aux souvenirs.
     

    S'il avait pris conscience d'une évolution déroutante, lord Pacal n'avait pas soupçonné que les choses pussent aller si vite.
     
    George, devenu architecte au cabinet de son parrain, à New York, avait tout de suite assumé de telles responsabilités qu'il n'avait fait que travailler au rythme imposé par Thomas, entrepreneur boulimique. Ce dernier ayant octroyé quelques vacances à son filleul, le jeune homme rendit visite à son père, au printemps 1920.
     
    Le maître de l'île fut satisfait de voir que l'ancien combattant avait retrouvé assurance, ton jovial et foi en l'avenir. Pour son premier dîner à Cornfield Manor, George se présenta dans un complet de ville, ce qui déplut à Pacal, désappointa le majordome, étonna les valets.
     
    – Pardonnez ma tenue. Je n'ai pas apporté de tuxedo , s'excusa-t-il, devant l'air réprobateur de son père.
     
    – Un officier peut dîner en uniforme. Mais rendu à la vie civile, tu trouveras certainement dans ma garde-robe un dinner-jacket à ta taille, dit Pacal pour clore l'incident.
     
    Il était conscient que son fils jugeait surannée l'obligation de s'habiller pour le dîner.
     
    Comme s'il avait deviné la pensée de son père, George livra son état d'esprit, celui des jeunes Américains de sa génération, retour de guerre.
     
    – Du ciel, j'ai

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