Un paradis perdu
expérience des affaires coloniales, précisa lord Simon, à l'intention de ses invités.
– Et Gladstone décida aussi d'envoyer nos braves Bahamiens risquer leur vie en Afrique pour secourir des gens qui considèrent les Africains comme des bêtes de somme, taillables et corvéables à merci, déclara, fort amer, Uncle Dave.
Cette sortie valut au vieux médecin un regard sévère de lord Simon et suscita l'étonnement du sergent. Ce natif des Bahamas ne voyait nul abus dans le fait qu'une partie de son régiment eût été envoyée en Afrique. Servir, loin de chez lui, une reine qu'il ne verrait jamais, était un honneur qui le mettait au-dessus de tous les militaires blancs, en garnison à Nassau ou à la Jamaïque.
– En arrivant en Afrique, nous avons été très bien équipés. Deux uniformes et une chemise de caoutchouc pour nous protéger de la pluie qui, là-bas, tombe à verse sans prévenir. Nos officiers nous ont donné des conseils d'hygiène, pour nous protéger des fièvres, et nous ont distribué des filtres à eau, car l'eau des rivières n'est pas toujours bonne à boire. On nous a aussi remis une provision de café et un moulin pour le moudre. On pouvait aussi bien avoir du thé et une bouilloire. Quand nous avons été quatre mille, rassemblés sur la côte, nous avons marché sur Kumasi, la capitale des Ashanti, perchée sur un plateau de roches entouré d'une grosse rivière boueuse. Il a fallu traverser des forêts, des marais qui sentaient mauvais…
– Comment étaient armés les guerriers ashanti ? interrompit lord Simon.
– Ils étaient presque nus. Tous avaient des arcs, des lances et, au cou, une sorte de collier où ils suspendaient plusieurs couteaux bien aiguisés. Quelques-uns avaient de vieux fusils, apportés par les navires français, hollandais… et même anglais, my lord .
– Des fusils de rebut, sans doute. Et leurs chefs, sergent, étaient-ils bons stratèges ? demanda Simon Leonard.
– Leurs chefs, my lord , c'était un vrai junkanoo 5 . Ils étaient coiffés de bois de cerf, de plumes d'aigle, de queues de cheval et cachaient leur visage sous un masque d'or. Ils avaient aussi des bracelets et des breloques, fabriqués avec l'or et l'argent tirés de leurs mines par des esclaves nègres, qu'ils vont capturer chez les peuples voisins. Ils avaient, bien sûr, l'avantage de connaître mieux que nous la forêt, pleine de fauves, de serpents et de moustiques, et les défilés où ils nous ont tendu des embuscades.
– Y a-t-il eu bataille ? demanda Charles.
– Et comment ! Nos officiers pensaient qu'il suffirait de nous montrer et de faire entendre nos canons pour effrayer les Ashanti. Mais ces gens, qui ne craignent pas la mort, sont courageux. Nous avons brûlé des villages et tué pas mal de guerriers déguisés, mais quand on a su que le roi Coffi-Calcalli pouvait réunir cent mille hommes, alors que, chez nous, les gens tombaient sous les flèches et les balles des Africains ou mouraient de la fièvre des marais, le général Garnet Wolseley, qui fut lui-même en danger, décida la retraite vers la côte en attendant des renforts. Des nègres qui n'aimaient pas les Ashanti sont venus se battre avec nous, et leurs femmes portaient sur leur tête nos caisses de munitions. On s'est bien battu et quand nous sommes arrivés devant Kamusi, où le roi s'était enfermé avec ses meilleures troupes, nous avons mis le siège autour de la capitale. Il a duré du 30 janvier au 5 février et grâce à l'artillerie, nous avons vaincu. Dès que nous sommes entrés dans cette ville, tout le monde a été étonné de voir des rues larges et bien tracées, beaucoup d'assez belles maisons et le palais royal, une grande bâtisse aux appartements bien décorés, avec beaucoup d'objets d'or et d'argent. L'ordre a été donné de tout détruire et de tout brûler. Cela décida le roi à demander la paix et un traité fut conclu entre Coffi-Calcalli et notre général, dit le sergent.
– Et que rapporte à l'Angleterre ce traité avec un roi des Sauvages ? s'enquit Weston Clarke.
– On a fixé la frontière entre les possessions anglaises et le royaume des Ashanti ; le roi s'est engagé à payer une grosse indemnité en poudre d'or et à supprimer les sacrifices humains, précisa Mosko.
– Les sacrifices humains ! s'exclama Ottilia.
– Yes, my lady . Pendant leurs fêtes, les Ashanti égorgent des
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