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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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esclaves. C'est la mode chez eux. Quand un propriétaire meurt, on tue ses esclaves domestiques. Même quand le roi meurt, on tue, avec ses esclaves et serviteurs, tous les membres de sa famille, frères, sœurs, oncles, tantes, cousins, tous sauf le fils, héritier du trône, qui fait aussitôt occire les généraux et les fonctionnaires qui ont servi son père. C'est comme ça, my lady  ; les Ashanti sont des bêtes féroces, qui boivent du sang humain, mêlé au vin de palme, et décorent leurs maisons avec les ossements de leurs victimes, crânes, tibias, pieds et mains, proprement apprêtés, acheva Regis Mosko, en bon conférencier sûr de son effet, au milieu des gloussements horrifiés des dames.
     
    Pibia tendit au maître de l'île un bol à punch, que le lord remit au soldat avec mission de le placer au mess de son régiment, à Nassau. On y avait gravé la date de la prise de Kumasi et l'emblème du First West Indies Regiment .
     
    Comme tous congratulaient le valeureux sergent, pour la plus grande fierté de son oncle Sharko, ce dernier demanda à lord Simon s'il accepterait un trophée rapporté par son parent.
     
    Un tel souvenir ne se refusait pas et le cercle des invités devint attentif. Tel un prestidigitateur, Mosko tira d'un sac de cuir une tête de bélier, enrobée d'une épaisse pellicule d'or et qui portait entre les cornes des signes cabalistiques, dont le sous-officier dit ignorer la signification.
     
    – Je l'ai prise moi-même dans le palais du roi des Ashanti, dit-il en tendant l'objet au lord, qui le reçut avec gravité.
     
    – Ç'eut été une belle pièce pour le cabinet de curiosités de notre cher Malcolm, souffla Charles Desteyrac à Ottilia.
     

    Privé de la présence de son petit-fils, contraint par Robert Lowell à suivre des cours d'été pendant les vacances, lord Simon se prit d'un intérêt soudain pour les travaux de terrassement du futur phare du Cabo del Diablo. Il se rendit souvent, du Cornfieldshire à la pointe sud de Soledad, à bord de son wagon-salon et, ces jours-là, le jeune Takitok, promu depuis peu aide-mécanicien, devait brûler dans la chaudière de la locomotive le bois qui produirait le moins de fumée. Une trace d'escarbille sur le costume crème ou le panama du maître de l'île eût valu à l'adolescent, arrière-petit-fils de Maoti-Mata et meilleur ami d'enfance de Pacal, l'exilé, une admonestation sévère. Au terminus du train, lord Simon faisait prévenir lady Lamia, qui envoyait son dog-cart pour transporter son frère sur l'îlot.
     
    Depuis quelques semaines, une équipe d'ouvriers recrutés par Sima était à l'ouvrage sur Buena Vista. Charles Desteyrac, obligé d'intervenir sur le chantier, avait fait réhabiliter le petit bungalow de Pink Bay, autrefois nommé Little Manor par Mark Tilloy. Il avait occupé cet abri, chargé de souvenirs heureux, pendant la construction du pont qu'il devait maintenant franchir chaque jour. Bien que l'ouvrage eût été plusieurs fois repeint depuis le drame de 1866, et sa chaussée de madriers remplacée par un revêtement de pierres concassées, le pont restait, pour l'ingénieur, un lieu maudit. Une étrange oppression lui bridait la poitrine chaque fois qu'il passait devant l'écu de bronze où l'on pouvait lire l'inscription dictée par lord Simon : « Ici, le 3 octobre 1866, Ounca Lou Desteyrac-Cornfield, Eliza Colson et Edward Carver rencontrèrent la mort. »
     
    À la pointe d'un éperon rocheux qui, telle la proue d'un vaisseau, avançait dans l'Océan, face au grand large, sur la côte est de l'îlot, il s'agissait d'abord de créer une plateforme taillée dans le calcaire corallien, sur laquelle on étalerait, à même la roche aplanie, une couche de ciment de trente centimètres d'épaisseur. Là, se dresserait le phare dont le dessin ravissait le lord.
     
    Charles proposait une tour ronde, sorte de tronc de cône élancé, qui offrirait moins de prise au vent que les tours carrées ou octogonales. Il convenait de prévoir le passage des ouragans saisonniers et les orages tropicaux, parfois accompagnés de fortes rafales.
     
    – Notre phare aura cinquante pieds de haut ce qui, avec l'élévation de la côte en cet endroit, mettra le feu tournant à près de soixante pieds au-dessus du niveau de la mer. Avec les dernières lentilles à rayons concentriques d'Augustin Fresnel, dont mon ami Fouquet m'a envoyé les caractéristiques, notre feu portera à plus de vingt-cinq milles,

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