Un paradis perdu
complice d'une colonisation paternaliste.
On ne sut rien des propos que les deux vieillards échangèrent mais, quelques minutes après la visite de lord Simon, le cacique des Arawak ferma les yeux pour ne plus les rouvrir.
Selon le rite funéraire prévu pour les notables, Maoti-Mata avait droit à deux inhumations. Il fallait laisser le temps à l'esprit du mort de quitter sa chair, afin qu'il ne vienne pas reprocher aux vivants une coupable précipitation. Pour la première inhumation, le corps fut déposé nu, à même la terre, sous un tapis de mousse, dans laquelle on enfonça des graines de Selenicereus boeckmannii , plante grasse de la famille des cactées, aussi nommée queen of the night 9 . Elle pourrait produire, en une nuit, au bout d'un mois ou d'un an, voire plus – d'après Uncle Dave, cela révélerait l'état de décomposition du corps –, une énorme fleur blanche au parfum de vanille. L'apparition de cette fleur sur la tombe provisoire de Maoti-Mata serait le signe qui permettrait la seconde et définitive inhumation des restes du cacique, dans le mausolée où reposaient, hors du village, dans un champ clos, les ancêtres d'Old Gentleman. Si le premier enterrement fut discret et intime, l'inhumation définitive donnerait lieu à de véritables funérailles.
– Tout consiste, finalement dans la vie, à s'acheter une tombe, dit lord Simon, au retour de la mise en terre provisoire de son vieil ami.
1 Les étudiants de première et de deuxième années sont nommés, respectivement, freshmen et sophomores .
2 Nom péjoratif désignant les mulâtres.
3 Le 24 novembre 1864, le colonel John M. Chivington, de la cavalerie des États-Unis, attaqua à Sand Creek, Colorado, un camp où vivaient des Indiens cheyenne. Plus de cinq cents hommes, femmes et enfants furent massacrés par les soldats. Les militaires se conduisirent avec une telle cruauté que le Congrès ordonna une enquête. Malgré les témoignages accablants des officiers enquêteurs et du guide, Robert Bent, consignés dans le rapport du Sénat, l'affaire n'eut pas de suite.
4 Les propos de cette Bostonienne, divulgués dans la société locale, ont été confirmés dans une lettre du Français Édouard Desor, qui fut secrétaire d'Agassiz à Berne, à Caroline Olivier, épouse de Juste Olivier (1807-1876), écrivain, ami d'Agassiz. Citée par le docteur Jean Olivier, petit-fils de Juste Olivier, dans la Revue historique vaudoise , septembre 1957, publiée par la Société vaudoise d'histoire et d'archéologie.
5 Cité par Bernard Jaffe, Savants américains , Overseas Editions, New York, 1944.
6 Les aventures de Guillaume Métaz – personnage de fiction – et de sa famille ont été racontées dans une autre série romanesque – qui se déroule de 1800 à 1865, dans le canton de Vaud, et qui compte quatre tomes : Helvétie , Rive-Reine , Romandie , Beauregard – du même auteur (éditions Denoël).
7 Musée universel , premier semestre 1874.
8 Habitation traditionnelle des Arawak, sorte de case ronde au mur de bois, à toit conique soutenu par un pilier central.
9 Reine-de-la-nuit.
5.
L'Exposition universelle, organisée à l'occasion du centenaire de la Déclaration d'indépendance, ouvrit le 10 mai 1876, à Philadelphie. Entre des collines plantées d'arbres séculaires, sur les rives du Schuylkill, Fairmont Park, le plus grand parc urbain au monde – mille cent hectares – abritait, en plus des pavillons américains, ceux de cinquante pays étrangers. Des bâtiments spécialement construits pour la circonstance avaient modifié le panorama. Le Memorial Hall 1 , qui avait coûté à la Pennsylvanie un million cinq cent mille dollars, et la colossale statue en bronze d'Abraham Lincoln, due au sculpteur Randolph Rogers, faisaient l'admiration des badauds.
Cette prestigieuse manifestation du génie industriel d'une nation jeune et entreprenante présentait au monde étonné cent inventions, dont le téléphone de Graham Bell, la machine à écrire de Christopher L. Sholes, les freins à air comprimé de George Westinghouse, les machines à coudre de J. B. Nichols, l'appareil photographique de George Eastman, les nouveaux wagons-lits et wagons-salon de George Mortimer Pullman, la mitrailleuse de Benjamin Hotchkiss, l'appareil à produire du froid du Français Charles Tellier – qui équipait le Frigorifique , premier navire à transporter des viandes
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