Un vent d'acier
Landau ? » dit Claude en se ressaisissant d’un effort.
Le soir, à la fin du souper, après avoir beaucoup hésité, il demanda précautionneusement à sa femme : « Sais-tu, mon poulet, que Claudine et Bernard correspondent ?
— Oui, répondit Lise, bien entendu, je le sais. » Elle se mit à rire doucement en regardant son mari. « Oui, ils s’aiment. Que crois-tu donc, mon ami ? J’en suis heureuse. Claudine était la seule que je puisse être heureuse de voir aimer par lui. Ah ! l’on me juge mal ! Elle aussi imaginait que je me tournerais contre elle en ennemie. La pauvre enfant chérie, elle s’est causé bien du tourment. Elle ne savait pas ce qu’il y avait entre Bernard et moi, mais, avec son instinct, elle sentait. Elle sentait à faux. J’avais tout compris depuis longtemps, comme Gabrielle. J’ai confessé Claudine. Quels pleurs ! Et je lui ai dit : Ah ! chère petite sotte ! rien ne peut m’être plus doux que votre amour. C’est celui que Bernard et moi avons eu l’un pour l’autre quand j’avais ton âge : celui que nous avons manqué, et que tu vas réussir, toi. Car elle le réussira, je l’espère. Pourvu que Bernard !… Ce n’est plus pour lui seul que je tremble, maintenant. Quand donc finira cette guerre ! »
Claude écoutait, de plus en plus étourdi. Ainsi, sans qu’il en sût rien, tout cela s’était fait sous ses yeux. Les êtres les plus chers à son cœur avaient dénoué et renoué leur destin ; il n’avait rien senti, rien deviné. Lise lui prit la main : « Ne t’accuse pas, mon ami. Tu es accablé de travaux et de soucis tellement plus importants que ceux-là. Je n’ai pas trouvé l’occasion de te raconter ces choses. Nous sommes si peu ensemble !
— Oui, et c’est cela qui m’angoisse. Je m’aperçois tout à coup que nous risquons de nous trouver bientôt étrangers l’un à l’autre.
— Ne dis pas cela, mon cœur ! » se récria-t-elle en se levant pour venir l’enlacer. « La rigueur de ces temps nous sépare, elle ne saurait nous éloigner. Et puis enfin, tout cela ne peut plus durer beaucoup. C’est une crise, vous triompherez, vous êtes en bonne route, il ne faut pas ralentir ton effort. »
Claude la prit dans ses bras et la tint toute serrée, lui baisant les yeux, la bouche. « Lise, ma Lison, dit-il, je ne retourne pas au Comité, ce soir. Je veux rester avec toi, chez nous. Parle-moi de toi, de Bernard, de Claudine. Parle-moi de nous. Ne regrettes-tu rien ? »
D’ordinaire, il ne rentrait du Comité que vers minuit, parfois plus tard. La plupart du temps, il y retournait à sept heures du matin, huit heures au plus. Il n’avait plus guère de vie intime. Souvent, il dînait ou soupait en hâte au pavillon où d’aucuns, comme Barère, couchaient même. De son côté, Lise était très occupée par ses ateliers dont elle obtenait de si bons résultats que la Convention l’avait mandée pour lui déclarer qu’elle méritait bien de la patrie et pour l’admettre aux honneurs de la séance.
Cette soirée chez eux fut une brève résurrection de leurs heures les plus belles. Dès le jour, Claude repartit à la besogne et à la bataille. La reprise de Toulon provoquait chez le Père Duchesne une exultation sauvage. Il annonçait des hécatombes de royalistes et de feuillantins toulonnais, des représailles plus exemplaires encore que le châtiment de Lyon. Or les Robespierristes, bien résolus à frapper les coupables, n’entendaient cependant point laisser les Cordeliers ultras en multiplier le nombre, de façon à rendre haïssable le gouvernement révolutionnaire. Car c’était là certainement le secret dessein d’Hébert. Au nom du Comité de Salut public, Maximilien lut à la Convention le Rapport sur les principes du Gouvernement révolutionnaire auquel il travaillait depuis plusieurs jours dans sa petite chambre. Déjà Saint-Just, en vendémiaire, avait posé ces principes, et Billaud-Varenne, en brumaire, en avait tiré les déductions pratiques. Les idées de Saint-Just planaient. Robespierre les concrétisa, en fit application à la situation présente. Il définit très précisément la politique d’équilibre poursuivie par le Comité, en distinguant tout d’abord le régime imposé en ce moment par les circonstances, de la république constitutionnelle à quoi l’on devait aboutir.
« La Révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis, la Constitution est le régime
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