Un vent d'acier
espèce de soulagement. Les arrestations font l’objet de toutes les conversations de café. On les approuve en général, et les détenus sont traités d’intrigants. Quelques-uns de leurs partisans vont de porte en porte engager les citoyens à prendre la défense d’Hébert, de Momoro, de Vincent, de Ronsin, mais ces démarches ne semblent pas produire grand résultat. » Plus tard, d’autres rapports arrivèrent. À la section des Lombards, les femmes disaient qu’elles n’avaient jamais eu confiance dans ce muscadin d’Hébert. Elles le verraient avec grand plaisir aller au supplice. À la Courtille, elles s’écriaient : « Qui aurait cru qu’Hébert fût un scélérat comme Pétion ! » À la section du Temple, le président lisait le discours de Saint-Just, et chacun de s’exclamer : « Cet Hébert, quel coquin ! »
Le soir, vers cinq heures, une foule se pressait dans la cour de la Maison de justice, pensant y voir déjà les Hébertistes condamnés. On plaisantait sur la grande colère du Père Duchesne dans sa prison. Le geôlier, racontait-on, lui ayant demandé ce qu’il voulait pour son souper, Hébert, pâle et défait, avait répondu qu’il lui restait encore son pain du déjeuner. Il ne lui fallait qu’une chopine, il n’avait pas faim. Et l’on ajoutait : « La terreur punit déjà le traître. »
À cette heure-là, Barère, successeur d’Hérault-Séchelles aux affaires diplomatiques, venait de faire une trouvaille dans la correspondance. Selon un agent à Venise, le comte d’Antraigues annonçait dans les salons vénitiens que la république serait renversée à Paris, d’ici cinq ou six jours. Cette note portant la date du 27 février, les cinq ou six jours donnaient celle du 14 ou 15 ventôse où s’était effectivement produite la tentative hébertiste. Depuis plusieurs mois, le ministre Deforgues et le Comité présumaient que cet Antraigues, ancien constituant, émigré en 90, dirigeait de Venise les espions royalistes en France. Déjà, en décembre, après la reprise de Toulon, un bulletin émanant très probablement de ce personnage, sous la forme déguisée d’une lettre espagnole, avait été découvert parmi les papiers tombés aux mains des troupes républicaines. C’est même ce qui avait provoqué les soupçons du Comité envers Hérault-Séchelles, car lui seul, chargé alors des relations diplomatiques, pouvait transmettre à l’étranger le résultat d’une délibération dont la lettre faisait état : délibération connue exclusivement des participants. Hérault expédié en Alsace sous la surveillance de Saint-Just et Le Bas, les émigrés ne manquaient pourtant pas de contacts avec les milieux révolutionnaires. Lorsqu’il s’était dit certain d’une collusion entre Hébertistes et royalistes, Barère pensait à Momoro. Sous sa protection vivait tranquillement à Paris un frère du trop fameux Puisaye : l’organisateur de la révolte fédéraliste à Caen, l’incendiaire de la Vendée. Ce frère était l’amant de la galante citoyenne Momoro. Ainsi, sans nul doute, se faisait la liaison des faux patriotes avec les Vendéens et avec Antraigues. C’est de la sorte que celui-ci pouvait annoncer, six jours à l’avance, le triomphe de leur conjuration. Le Comité ordonna sur-le-champ l’arrestation de la femme Momoro. Elle serait détenue à Port-Libre.
Cependant, les Cordeliers s’agitaient en désordre. Les uns votaient l’envoi d’une délégation à l’accusateur public pour accélérer la mise en jugement des détenus dont l’innocence éclaterait aussitôt, d’autres proclamaient la Déclaration des droits violée de nouveau, et, de nouveau, appelaient à l’insurrection. Loin de s’entendre, on s’anathématisait, on s’expulsait mutuellement.
Les Jacobins, au contraire, formaient bloc autour du Comité de Salut public. Lorsque Claude arriva au club, un peu tard, après une longue discussion avec Saint-Just, Collot et Lindet à propos d’Hérault-Séchelles, Billaud-Varenne avait révélé la découverte faite dans la correspondance diplomatique. Il rapprochait le fait d’autres informations fournies par l’enquête de Fouquier-Tinville. Des hommes de l’armée révolutionnaire étaient prêts à combattre contre la liberté. Une fausse patrouille devait surprendre le corps de garde veillant à l’Abbaye, ouvrir les portes aux prisonniers, leur donner des armes. Avec eux, on se serait porté à la
Weitere Kostenlose Bücher