Un vent d'acier
grande campagne de déchristianisation : Clootz, Gobel. Claude estimait extravagant de prétendre que ces deux-là, Clootz surtout, aient pu tremper dans une tentative de restauration monarchique, et il s’opposa formellement à toute mesure contre eux. Robespierre insistant avec aigreur, le ton monta très vite.
« Tu ne cherches plus là des conspirateurs, dit Claude, tu poursuis de ta haine des hommes dont le seul tort est de ne point partager ta superstition déiste. Eh bien, sache-le, nous sommes nombreux à nous être lancés dans la Révolution pour détruire la tyrannie religieuse aussi bien que la tyrannie politique. Nous ne souffrirons pas que l’on instaure dans la république une Inquisition, au nom du dieu de Rousseau. »
À quoi Robespierre, la voix criarde, répliqua que si l’on avait laissé faire les athées comme lui, Mounier-Dupré, il n’existerait plus, en ce moment, de république. Elle se serait effondrée dans les saturnales de l’anarchie, au milieu du dégoût général. Les membres des Comités écoutaient sans prendre parti dans cet épineux débat. Plusieurs, dont Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, étaient en conformité d’idées, sur le principe, avec Claude, mais ils n’entendaient pas rompre des lances en faveur de personnages aussi peu intéressants, à leurs yeux, que Clootz ou le vieux Gobel. Vadier ricanait, Barère observait, attentif à la fêlure qui se trahissait là et qui pourrait grandir. Saint-Just vit le danger.
« Tu as tort, Mounier-Dupré, dit-il, froid et sévère. Tu t’abandonnes à une passion d’idées, tu lui donnes le pas sur les intérêts de la république.
— S’il en est ainsi, répondit Claude en se levant, délibérez sans moi ! »
Il arriva chez lui tout animé encore. Lise dormait ; elle s’éveilla. « Il y a dans ce Robespierre l’étoffe d’un cafard tyrannique ! » dit Claude en racontant à sa femme ce qui venait de se produire. Il voulait démissionner du Comité. Lise le calma, lui conseilla de réfléchir. Elle se leva pour lui préparer une tasse de tilleul.
Le matin, de bonne heure, Panis se présenta en médiateur, apportant les regrets de Robespierre. « Nous tous aussi, vos amis, nous déplorons cette algarade, ajouta-t-il. Il ne faut pas surtout qu’elle rompe l’unité du Comité de Salut public. Ce serait désastreux, et pour une bien petite cause. Car enfin, si ces hommes pour lesquels tu t’es emporté un peu vite, avoue-le, sont innocents, ils n’ont rien à craindre du Tribunal. Au contraire, ils en sortiront avec une réputation confirmée, comme Marat.
— Tu as raison, reconnut Claude, je me suis emporté. Nous sommes surmenés, les nerfs lâchent parfois. Dis à Maximilien que j’irai le voir. »
Il s’y rendit sitôt habillé. La matinée était belle, le printemps précoce, les marronniers des Tuileries dépliaient déjà leurs jeunes feuilles. Dans la rue de la Convention, un peu après les Jacobins, Claude tomba sur Tallien et Fouché, revenus depuis peu, le premier de la Gironde, le second de Lyon. Ils avançaient tête basse, l’air effondrés.
« Ah ! çà ! s’exclama Claude, quelle mine faites-vous !
— Tu n’en aurais pas d’autre s’il t’advenait ce qui nous arrive, dit Tallien. Nous sortons de chez ton ami Robespierre. Je te recommande sa façon de recevoir les visiteurs patriotes. Toi qui me connais depuis les premiers temps de la Révolution, qui m’as vu me dépenser toujours pour elle sans mesurer ma peine, conçois-tu cet accueil ? Tu le sais, d’infâmes calomniateurs répandent sur Fouché et sur moi les bruits les plus atroces. »
Claude savait en effet ; on accusait les deux conventionnels d’avoir profité de leurs missions pour s’enrichir scandaleusement. On assurait qu’à Bordeaux il suffisait d’avoir beaucoup d’argent pour acheter sa liberté à Tallien. C’était probablement vrai, car, minable au temps où il jouait aux Cordeliers les seconds de Danton, et même au moment de son élection à la nouvelle Assemblée, on le voyait maintenant plus qu’à l’aise. Il ramenait de Bordeaux une très belle maîtresse, laquelle ne l’aimait assurément pas pour ses charmes : sa lourde figure et son énorme nez.
« Nous avons voulu, poursuivait Tallien, nous défendre auprès de Robespierre contre ces calomnies, et nous sommes de concert allés le voir. D’abord la fille Duplay nous a dit qu’il n’était pas là, puis, comme
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