Un vent d'acier
Desmoulins et toi n’aviez pas exaspéré les terroristes, effrayé la Convention, en exigeant vos comités de clémence. Oui, il faut modérer le système de rigueur, il faut distinguer entre l’indispensable sévérité et l’indulgence possible, mais des têtes de grands coupables doivent encore tomber avant que le régime républicain soit suffisamment affermi pour n’avoir plus rien à craindre. Alors il pourra remiser les échafauds et supprimer la peine de mort.
— Quelle folie ! Chaque tête que vous faites tomber suscite dix ennemis nouveaux à la Révolution et renforce la haine dans le cœur des autres.
— Tiens ! remarqua ironiquement Claude, la formule est donc de toi ? On la croyait à Desmoulins.
— Camille écrit selon sa conscience, et sa conscience lui dicte ce que pensent tous les amis de la patrie.
— Quand cesseras-tu de mentir, Danton ? riposta Claude. Nous avons le numéro VII de Desmoulins, annoté de ta main.
— Lui ou moi, qu’importe ! Bien d’autres écriraient de même. Ne comprenez-vous pas que toute la France hait votre despotisme ? Il se recommande de la liberté pour emprisonner les femmes et les vieillards, assassiner les citoyens, envoyer la jeunesse se faire tuer dans une guerre éternelle. Votre république est atroce. Nous en voulons une heureuse, une belle fille qu’on aime, pacifique au-dehors, paisible au-dedans : une république où il fasse bon vivre.
— Et c’est toi, dit Robespierre avec une amère ironie, toi qui, par la puissance de ta parole, contiendras les royalistes, persuaderas les princes de renoncer à leurs complots, convertiras tous les ennemis de la Révolution, les aristocrates nobles et bourgeois, tous ceux qui haïssent la démocratie ? C’est toi qui désarmeras d’un sourire la coalition ? Tu sauras, comme Orphée charmant les tigres, convaincre Billaud, Collot, Vadier, Amar, Voulland, de te laisser la tête sur les épaules pour accomplir ces beaux miracles ? Eh bien, je le souhaite, je te le souhaite de tout cœur, mon pauvre Danton. »
La rencontre tournait mieux encore que ne l’avaient espéré Panis, Legendre et Humbert. Loin de finir sur des éclats, comme les précédentes entrevues, elle semblait devoir se terminer sur ce ton de raillerie non dénué d’amitié. Robespierre maintenant laissait parler les autres. Les bras croisés, il écoutait, pensif. Il avait repris son air distant et triste. Enfin il se leva, il fallait rentrer. Danton l’embrassa. Il se laissa faire froidement. Pendant le trajet, il ne parla point, adossé, les yeux clos, tenant ses lunettes sur ses genoux. Au moment où l’on arrivait, par le quai, au guichet du Louvre, il se redressa. « Tant pis ! » dit-il. Puis chaussant ses lunettes, il regarda Claude. « J’ai tout tenté, tu en es témoin. »
On ne songea guère à Danton, ce soir-là, au Comité. La séance fut occupée tout entière par le procès des Hébertistes. En dépit des précautions prises, les débats débordaient. Le vice-président Dumas et Fouquier ne parvenaient point à empêcher accusés ou témoins de mettre en cause des non-prévenus plus ou moins liés aux Comités, et Barère lui-même. On le donnait pour un ami d’Hébert. Au total, les témoignages se révélaient beaucoup moins accablants pour les Hébertistes que pour les Dantonistes dont ils soulignaient la corruption et les liaisons suspectes. Chabot et Desfieux, premiers dénonciateurs du complot d’Hébert avec l’Angleterre, avaient dû reconnaître qu’ils touchaient 10 % sur les bénéfices d’une maison de jeu et de plaisir tenue, au Palais ci-devant Royal, par la belle M me de Saint-Amaranthe et sa ravissante fille mariée au jeune Sartine dont le père, l’ancien lieutenant général de police, était émigré. Or la Sûreté générale savait que ces femmes appartenaient au réseau du baron de Batz. Le procès risquait de tourner à la confusion des accusateurs. Laboureau, un jeune étudiant en médecine, espion du Comité, avait été incarcéré et mis en jugement avec Hébert, Momoro, Vincent, Ronsin. Il ne parvenait pas à trouver dans leurs confidences la preuve d’un lien entre eux et Batz, malgré les déclarations de Westermann. « Westermann, disaient-ils dans leurs conversations, est un coquin, et si l’on faisait bien on l’arrêterait aussi. » Ronsin déclarait à ses compagnons d’infortune : « Ceci est un procès politique. Aux Cordeliers, vous avez
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