Un vent d'acier
Brissot : Camille est de ceux qui rendent en venin ce qu’on leur a donné en amitié. Tant pis pour lui ! »
Reprenant la dénonciation du Vieux Cordelier, le Don Quichotte Bourdon n’imagina rien de mieux que de réclamer, à la tribune, l’arrestation d’Héron. Bourdon avait choisi son moment, aucun membre des Comités n’était là. Ils se trouvaient au pavillon, où l’on agitait le problème des Hébertistes. On avait finalement résolu de limiter les débats. L’accusation ne mentionnerait pas le complot de l’Étranger, on s’en tiendrait à la tentative insurrectionnelle et aux manœuvres contre le ravitaillement. C’est alors qu’un huissier de l’Assemblée se présenta, portant un billet « très urgent » pour le citoyen Robespierre. À peine y eut-il jeté un regard, Maximilien se leva vivement. « La Convention, dit-il, vient de décréter Héron. »
Rude coup porté aux deux Comités. C’était en quelque sorte un vote de défiance. Robespierre sortit, suivi par Claude, tandis que Couthon appelait son gendarme. En avançant vite par le long couloir sombre, Maximilien murmura : « Je ne veux pas croire que Danton ait trempé là-dedans. »
Ils passèrent le corps de garde, débouchèrent dans le vaste espace ensoleillé du pavillon de l’Unité, dont les portes étaient ouvertes sur la cour et sur le Jardin national, gravirent le Grand-Degré – l’escalier du 10 août. Au pavillon de la Liberté, se produisaient des remous. Sans savoir ce qui se passait au juste, les curieux accouraient des antisalles, questionnant les huissiers et les gardes réunis dans le petit vestibule au fond duquel s’ouvrait, sous sa tenture bordée de rouge, la porte en marqueterie donnant accès à la salle des séances. Sitôt entrés, Maximilien demanda la parole et gagna la tribune, Claude se tint prêt à le soutenir. Un instant plus tard, Couthon arriva dans son fauteuil mécanique.
Robespierre, s’indignant d’un « décret illégalement surpris à la Convention », la fouettait d’une voix sèche et amère. Il défendit Héron, déclara qu’en l’accusant on accusait les Comités eux-mêmes. Ayant obtenu le rapport du décret, il engagea vigoureusement la contre-offensive. Cette sournoise manœuvre entreprise contre les Comités, au moment où ils venaient d’anéantir les Hébertistes après avoir réduit au silence les Enragés, montrait bien que la conjuration n’était pas démantelée, loin de là. « Une faction qui voulait déchirer la patrie est près d’expirer, mais l’autre n’est point abattue. Elle trouve dans la chute de la première une sorte de triomphe. Elle se croit à présent tout permis, et nous n’aurons rien fait si nous ne l’exterminons pas à son tour. »
Après la déclaration de guerre aux ultras et leur écrasement, Maximilien se décidait donc à donner, contre les Dantonistes, le signal de l’assaut depuis longtemps réclamé par les patriotes rectilignes du pavillon de l’Égalité et de l’hôtel de Brionne. Restait à savoir si les partisans de Danton agissaient contre son avis, comme ils l’avaient déjà fait à plusieurs reprises, ou s’il se retirait à la campagne pour les laisser agir sans se compromettre, lui. Ce qui était bien dans sa manière.
La question fut tranchée un quart d’heure plus tard. Comme Claude retournait au Comité afin de poursuivre le plan de ravitaillement pour l’armée du Nord, avec magasins et départs de convois échelonnés, auquel Prieur et lui travaillaient depuis deux jours, Vadier arriva, triomphant. Le Comité de Sûreté générale ayant fait arrêter le dernier imprimeur de Desmoulins : Desenne, on venait, en perquisitionnant chez lui, de découvrir parmi ses papiers l’infâme numéro VII du Vieux Cordelier, manuscrit original dont les copies circulaient sous le manteau. Or, ce manuscrit était abondamment annoté par Danton lui-même. « Et ce n’est pas tout », dit Vadier en lançant la liasse sur la vaste table oblongue à tapis vert frangé d’or, « voici un bulletin que l’on a saisi, à Orléans, sur un courrier des princes. Lisez donc. »
Le rédacteur du message, un espion appartenant sans doute au réseau d’Antraigues, hostile à l’Angleterre, avertissait son chef, non sans indignation, que le plan des agents anglais « prévoit Danton comme régent parce qu’il a été désigné expressément par Pitt ». Claude haussa les épaules, peu convaincu. Certains
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