Un vent d'acier
hommes de l’hôtel de Brionne lui semblaient fort capables de faire fabriquer une lettre et de l’attribuer à un espion royaliste. Allez donc vérifier ! Et même authentique, ce message ne prouvait rien. D’abord, parce que les agents de Batz et les agents d’Antraigues, combattant dans un même but de restauration monarchique, mais pour deux partis rivaux, cherchaient mutuellement à s’égarer. Ensuite, parce que les bulletins de ce genre, saisis çà ou là, mêlaient aux informations d’une inquiétante exactitude les plus extravagants ragots.
En revanche, hélas, le manuscrit du Vieux Cordelier ne laissait aucun doute : chevauchant les pattes de mouche de Camille, c’était bien là l’écriture écrasée par les gros doigts de Danton. Vadier exultait. Les pommettes rouges d’excitation sous ses cheveux blancs, frottant ses mains maigres aux veines saillantes, il s’exclama : « On le videra, ce gros turbot farci ! »
On entendait, venant de la cour, le brouhaha produit par le public qui s’écoulait sur le Carrousel, après la séance. Robespierre arriva, au bout d’un instant, avec Couthon. On les mit au courant. Vadier était parti en compagnie de Billaud et Collot. Carnot avait regagné les ci-devant appartements du roi, à l’étage au-dessus, où tout un état-major d’officiers plus ou moins ex-nobles travaillait sous ses ordres aux plans de campagne des quinze armées. De là-haut, Carnot manœuvrait un million deux cent mille hommes. Saint-Just, indifférent, dépouillait la correspondance diplomatique, installé au bout de la table. « Que résous-tu ? » demanda Barère à Maximilien. « Nous en discuterons ce soir », répondit-il. Il fit signe à Claude et Couthon de sortir avec lui.
« Tu ne veux pas aller chez Panis, je pense ? dit l’infirme. Moi, je n’irai pas. Danton est un monstre de duplicité. Tu ne l’as que trop défendu, tu te perdras si tu ne t’en sépares à l’heure même.
— J’y vais cependant. Si faible que soit la chance de s’entendre encore avec lui, je veux la tenter. »
Une voiture de service attendait dans la cour, à l’angle du pavillon, devant l’ancien escalier de la Reine. Sous les arcades, les canonniers montaient la garde, pique ou sabre en main, pièces pointées. Par les larges soupiraux du sous-sol, arrivaient les bruits de l’imprimerie installée dans les ci-devant offices royaux. Claude suivit Maximilien. La voiture partit rapidement vers la place de la Liberté, autrefois de la Bastille, et Charenton.
Panis avait racheté à son beau-frère Santerre quasi ruiné, détenu depuis ses revers en Vendée, la maison dans laquelle le comité insurrectionnel de juillet 92 s’était réuni après la réception des Marseillais, durant cette nuit fracassante où le ciel en fureur foudroyait la terre et tuait les hommes. Combien d’autres orages, depuis lors ! Que de victimes ! Combien de fantômes aujourd’hui, autour des survivants, dans ce salon mal entrevu à la lueur des bougies et des éclairs, vingt-sept mois plus tôt. Il était charmant, en pleine clarté, avec ses boiseries gris perle encadrant une tenture rose et rouge que le soleil empourprait par endroits. Dehors, les jeunes feuillages, les premières fleurs, jaillissaient en bouquets sous les fenêtres. Mais aux yeux de Claude revenaient des figures disparues. Lazouski, Barbaroux, Rebecqui, ceux qui étaient morts à la tâche et ceux qu’il avait fallu sacrifier, ceux qui, après avoir tant donné à la Révolution, s’étaient retournés contre elle, follement, pour la fixer, comme si l’on pouvait arrêter un coup de canon quand on a mis le feu à la poudre. Combien d’autres se briseraient-ils encore dans cette tentative insensée ?
Danton arriva en compagnie d’Humbert, autrefois logeur de Robespierre, rue de Saintonge, maintenant chef de bureau aux Relations extérieures, de Courtois, député d’Arcis, et du ministre Deforgues, chaque jour plus suspect à Saint-Just : à n’en point douter, des fuites se produisaient aux Affaires étrangères.
Danton était dans sa plus belle humeur et quelque peu triomphant. Probablement considérait-il comme une victoire cette nouvelle tentative de conciliation : ne se sentant pas assez fort pour le combattre, Robespierre cherchait à le gagner. L’attitude de Maximilien justifiait cette idée. En face du gros Georges, débordant, il restait guindé, mal à l’aise, parce qu’il se défiait de
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