Un vent d'acier
l’étreindre trop fort, pour ne point l’alarmer.
Le procès ne commença qu’à onze heures. Le Comité était informé constamment de ce qui se passait à la Maison de justice, autour de laquelle Hanriot montait bonne garde. Depuis huit heures, la foule s’entassait dans la salle. Les rapports signalaient une affluence considérable dans la salle des pas perdus, sur les paliers, dans les escaliers, la cour, la rue, sur le quai de l’Horloge, jusqu’à la ci-devant place Dauphine. L’accusateur public avait fait traîner en longueur la constitution du jury dans la chambre du Conseil et limité le nombre des jurés à sept patriotes sûrs. Parmi ceux-ci se trouvaient le docteur Souberbielle, Trinchant, Renaudin, tous familiers de la maison Duplay. Les accusés introduits, Danton s’était précipité « comme un taureau dans l’arène ». Un instant plus tôt, il disait à ses amis : « Nous allons voir comment ces bougres-là comparaîtront devant moi. » Desmoulins avait récusé le juré Renaudin comme étant notoirement son ennemi personnel, « mais le tribunal n’en a tenu aucun compte ». Un observateur notait : « Paris-Fabricius, greffier de l’accusateur public, s’est levé de son siège, a couru à l’accusé Danton et l’a embrassé en pleurant. Il est à remarquer que le C ien Fouquier n’avait pas permis audit Fabricius d’assister à la constitution du jury. »
Quatre membres du Comité de Sûreté générale : Vadier, Amar, Voulland et David étaient au Palais, tout à proximité du prétoire. Une porte ouverte leur permettait d’entendre et de voir dans la salle de la Liberté. C’était l’ancienne Grand-Chambre de la Tournelle, inchangée depuis qu’avaient retenti là les dernières protestations des Brissotins. Elle conservait toujours son dallage de marbre noir et blanc, son plafond bleu et or, ses boiseries : vestiges des somptuosités passées, contrastant avec la tenture de papier gros bleu, et les bat-flanc pour contenir le public. En ce beau jour déjà chaud, les reflets du soleil entraient par les fenêtres ouvertes, qui donnaient sur la cour de la Conciergerie. Les détenus, comme les citoyens massés sur le quai, pouvaient entendre les échos de la puissante voix de Danton.
Il n’eut guère l’occasion de la faire retentir pendant cette première audience, consacrée à la lecture de l’acte d’accusation, puis au scandale de la Compagnie des Indes. Les principaux accusés, en l’occurrence, étaient Delaunay, l’ex-abbé d’Espagnac, le ci-devant capucin Chabot, Fabre d’Églantine ; le principal témoin, Cambon, venu du comité des finances. « Nous considères-tu comme des conspirateurs ? » lui lança Danton. L’ancien membre du Comité de Salut public ne pouvant, à cette question goguenarde, retenir un sourire : « Voyez, s’écria Danton, il rit. Il ne le croit pas. Greffier, écrivez qu’il a ri ! »
Ce fut à peu près sa seule intervention, ce jour-là. Le témoignage de Cambon écrasa d’Espagnac, Delaunay et Chabot, dont les tripotages ne laissaient aucun doute. Chabot se savait si bien perdu qu’il avait essayé, mais en vain, de se suicider en s’empoisonnant dans sa prison. À l’égard de Danton et de Delacroix, Cambon fut bienveillant. « Ils ont, dit-il, dénoncé Dumouriez dès qu’on a pu suspecter sa trahison, et dans le Comité où je siégeais avec eux je leur ai toujours entendu annoncer qu’après de grandes crises la république triompherait. » L’accusateur public et le président Herman eurent beau le pousser, il ne dit rien contre ses deux anciens collègues, malgré la présence menaçante des membres de la Sûreté générale qui s’agitaient derrière les juges et les jurés. Cambon était cité par Fouquier-Tinville. Si tous les témoins à charge déposaient ainsi, l’affaire allait lui « péter dans les mains », songeait-il avec inquiétude. Elle se présentait mal pour sa sécurité à lui. Westermann secoua l’assistance en demandant à montrer ses sept blessures « toutes reçues de face, dit-il. Je n’en ai reçu qu’une dans le dos : mon acte d’accusation ». Herman suspendit la séance pour ce jour.
Au Comité, on ne s’affolait point. Les grands coups n’étaient pas encore portés, le public ne se passionnait pas. En cette première audience, l’accusation avait au moins démontré que le clan dantoniste se composait des hommes les plus corrompus, les plus
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