Un vent d'acier
confirmée par un mot du ci-devant évêque Gay-Vernon, assis à côté de Claude et qui lui dit :
« Nous avons trouvé un homme d’État, marchez sans souci maintenant : il ne sera plus question de renouveler le Comité. Donnez-nous la victoire sur les armées des tyrans, et la république sera inébranlable. »
Mais tout n’était pas joué, loin de là. Le procès s’annonçait plus menaçant encore que celui des Hébertistes. Claude s’exaspérait contre l’obstination perverse de Danton. Pourquoi n’avait-il pas voulu se mettre en sûreté, quand on n’eût pas demandé mieux, à tous égards, que de faciliter son salut ! Possédé par cet instinct de destruction qu’il avait toujours montré, il préférait risquer sa tête, avec une chance d’anéantir le gouvernement et la république. On comprenait la haine de Billaud-Varenne à son égard. Pour comble, à la maison, Lise prenait le parti des accusés. Lucile Desmoulins était venue la supplier d’agir sur son mari pour sauver Camille, et Lise avait oublié les venimeuses attaques du Vieux Cordelier. Elle plaidait aussi pour Danton. Elle ne pouvait le croire coupable malgré tant d’évidences. Claude lui répétait en vain : « C’est la sensibilité qui parle en toi, non pas la raison. Rappelle-toi : Dubon, et Bernard lui aussi l’ont toujours considéré comme suspect. » Elle ne voyait en lui que l’homme chaleureux, si vivant, aimant tout et tout le monde.
Lucile remuait ciel et terre. Avec la timide Louise, elle s’était efforcée de voir Robespierre. N’y parvenant pas, elle lui avait écrit une lettre suppliante et menaçante. Elle harcelait Legendre, Fréron. Dans l’excès de son désespoir, elle exhortait Legendre à poignarder le tyran, c’est-à-dire Maximilien. Phénomène bizarre, nul partisan des Dantonistes ne s’en prenait à Vadier, à Billaud-Varenne, à Collot, à Saint-Just auteur du rapport. C’est Robespierre, l’ultime défenseur de Danton, que l’on rendait responsable : il avait terrorisé l’Assemblée, disait-on, pour se débarrasser d’un rival opposé à sa tyrannie sanglante. Ces propos se colportaient, de l’argent était répandu, assuraient les rapports de police, pour provoquer un mouvement autour du tribunal. Une agitation sourde régnait dans les prisons.
Ces deux jours, entre le décret de l’Assemblée et l’ouverture du procès que Fouquier-Tinville avait promis de commencer le 13, furent fébriles. Les deux Comités siégeaient quasiment en permanence. Pour la plupart des commissaires, leurs têtes ne se trouvaient pas moins en jeu que celle de Danton. S’il n’était pas condamné, il les ferait condamner, eux. David, Amar, Vadier, Billaud, Collot d’Herbois, Barère ne l’ignoraient point. Le vindicatif Camille ne pardonnerait pas non plus à Robespierre ni à Saint-Just, ni peut-être à Claude. Outre les menées des anciens Dantonistes et surtout des royalistes et Feuillants, enragés de voir disparaître avec Danton tout espoir de contre-révolution prochaine, on pouvait craindre que Brune, très populaire aux armées, n’entraînât des troupes sur Paris. Quant à Hoche, il était arrêté depuis dix jours. D’autre part, Fouquier-Tinville, Herman, le jeune président du Tribunal révolutionnaire, ne paraissaient pas des plus sûrs. Fouquier était apparenté à Desmoulins, il ne fallait pas l’oublier. De plus, dans le procès des Hébertistes, il avait montré peu d’ardeur à suivre les directives du Comité.
Le 11 au soir, quand il vint rendre compte de l’instruction et demander les ordres, comme on lui interdisait absolument de laisser les accusés citer aucun témoin parmi les membres de la Convention, il observa que c’était une violation des principes les plus élémentaires. À quoi Saint-Just lui répondit qu’il lui appartenait, à lui, accusateur public, de choisir les témoins afin d’éclairer les débats et non de les embrouiller au gré des accusés. Billaud ajouta brutalement : « Tu n’as pas à t’occuper des principes, mais d’obtenir la condamnation de tous ces scélérats, sinon c’est toi qui mettras ta tête à la chatière. Et Herman aussi, tu peux le lui dire. »
Sitôt après le départ de Fouquier, s’ensuivit une longue discussion à la fin de laquelle on résolut de le faire arrêter, avec Herman. Fleuriot-Lescot : le substitut de l’accusateur public, et le vice-président Dumas les remplaceraient. On décida
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