Un vent d'acier
pillages commis en Belgique par les représentants avait éclaté, s’était emparé, au Comité de Salut public, de toutes les pièces et procès-verbaux relatifs à cette affaire, afin de l’étouffer. Il le savait bien, lui, Levasseur, car il était alors membre du comité de correspondance, à la Convention, et il avait eu en main tout le dossier avant que Danton ne l’eût saisi.
Le lendemain, la troisième audience, dans la Grand-Chambre toujours archicomble, débuta là-dessus, par l’interrogatoire de Delacroix. Puissant lui aussi, mais beaucoup moins éloquent et habile, il s’efforça, en criant, d’embrouiller les choses. Herman, Fouquier le harcelèrent, l’enfermant dans ses propres contradictions. Il se défendit en proclamant bien haut son innocence, mais ne convainquit personne. Quant à Desmoulins, il avait rédigé une note dirigée surtout contre Saint-Just : Le chevalier de Saint-Just m’a juré une haine implacable pour une plaisanterie que je me suis permise, il y a cinq mois, dans un de mes numéros. Bourdaloue disait : « Molière me met dans sa comédie, je le mettrai dans mon sermon. » J’ai mis Saint-Just dans un numéro rieur (il avait en effet écrit : Avec Legendre, il n’y a pas de membre de la Convention qui se prenne tant au sérieux que Saint-Just ; il porte sa tête comme le saint sacrement), et il me met dans un rapport guillotineur où il n’y a pas un mot de vrai à mon égard. Mais il ne suffisait pas de le prétendre, il aurait fallu démontrer la fausseté de Saint-Just. Camille ne trouva rien à dire, sinon que l’on oubliait son pamphlet contre Brissot, que les Comités n’avaient pas donné suite à la dénonciation de Chabot contre Hébert, et il termina en décochant aux commissaires quelques flèches barbelées.
Tout cela ne portait pas. Danton, venant à la rescousse, fit donner de nouveau sa voix. Delacroix, soutenu, s’en prit violemment à Fouquier-Tinville à propos des témoins dont on lui avait fourni une liste et qu’il n’avait pas assignés. Philippeaux, Westermann, Hérault-Séchelles, Fabre d’Églantine se joignaient à l’assaut. Débordé, Herman s’écria :
« Je vois les prévenus conspirer en plein tribunal. Je les rappelle au devoir.
— Et moi, président, je te rappelle à la pudeur. Nous avons le droit de parler ici. »
Pour couvrir cette voix, Herman, blême, suant, sonnait à tour de bras.
« N’entends-tu pas ma sonnette ? glapissait-il.
— Un homme qui défend sa vie se moque d’une sonnette, et hurle. »
Le public semblait prendre tout entier parti pour les accusés. Amar, Vadier, David, Voulland insistaient en vain pour que le jury déclarât sa conscience suffisamment éclairée. Cela pouvait se faire dès la fin de cette troisième audience, mais les jurés s’y refusaient pour la plupart. Les quatre commissaires pressentaient, les uns avec effroi, les autres avec fureur, le triomphe prochain de leurs ennemis. Fouquier-Tinville, au comble de l’énervement, multipliait les billets à Herman. Comme Delacroix et Danton, s’appuyant l’un l’autre, proclamaient l’iniquité de ce procès sans témoins à décharge, Fouquier répondit :
« Rien ne vous interdit d’appeler des témoins, autres toutefois que ceux désignés par vous dans la Convention. C’est elle tout entière qui vous accuse. Je ne peux pas faire comparaître vos accusateurs.
— Il est donc permis à mes collègues de m’assassiner, répliqua Delacroix, et à moi défendu de démasquer, de confondre les assassins ! »
À leur tour, Desmoulins, Philippeaux exigeaient à grands cris la comparution de leurs témoins. Ils sommaient le tribunal de réclamer à l’Assemblée la nomination d’une commission chargée d’examiner leur demande. Le tapage redoublait. Fouquier s’exclama :
« Il est temps de faire cesser cette lutte scandaleuse à la fois pour le tribunal et pour tous ceux qui vous entendent ! Je vais écrire à la Convention afin de connaître son vœu. Il sera exactement suivi. »
Sur-le-champ, il rédigea une lettre au Comité de Salut public et la soumit à Herman. Amar, qui n’était point sot, discernait bien les sentiments de Fouquier. Écartelé entre ses inclinations sourdement hostiles aux Comités, et la peur des commissaires, il aurait voulu obtenir soit un décret forçant la main au jury, comme ç’avait été le cas pour les Brissotins, soit la comparution des témoins réclamés par
Weitere Kostenlose Bücher