Un vent d'acier
par les clameurs et les applaudissements provenant de la Grand-Chambre.
Car on applaudissait maintenant Danton magnifique de colère, secouant son mufle, improvisant le plus prodigieux de ses discours, le plus décousu, le moins véridique, le plus empoignant. « J’ai toute ma tête », grondait-il dressé, rouge, ruisselant de sueur, froissant sa cravate, « j’ai toute ma tête lorsque je provoque mes accusateurs. Qu’on les produise, et je les replonge dans le néant dont ils n’auraient jamais dû sortir ! Vils imposteurs, paraissez ! Je vais vous arracher le masque qui vous dérobe à la vindicte publique.
— Ce n’est point par des sorties indécentes contre vos accusateurs, riposta en toute logique le président, que vous parviendrez à convaincre le jury de votre innocence. Parlez-lui un langage qu’il puisse entendre. Ne l’oubliez pas : ceux qui vous accusent jouissent de l’estime populaire.
— Parler ! Un accusé comme moi répond devant le jury mais ne lui parle pas. Je me défends, je ne calomnie point. Je vais maintenant dénoncer les trois plats coquins qui ont perdu Robespierre, j’ai des choses essentielles à révéler…
— Je vous prie de vous enfermer dans votre défense, tonna Herman à son tour. Sinon je vous retirerai la parole, je vous en préviens. »
Danton, changeant alors de registre, revint sur les motifs de l’accusation. « C’est une chose bien étrange que l’aveuglement de l’Assemblée sur mon compte jusqu’à ce jour, dit-il, narquois. C’est une chose vraiment miraculeuse que son illumination subite ! »
À quoi Herman répliqua froidement :
« L’ironie à laquelle vous avez recours n’est pas un argument. Elle ne détruit point le reproche que l’on vous fait d’avoir porté le masque du patriotisme pour tromper vos collègues et favoriser la monarchie.
— Je me souviens effectivement, dit Danton plus narquoisement encore, d’avoir provoqué le rétablissement de la royauté et protégé le tyran en m’opposant de toutes mes forces à son voyage à Saint-Cloud, le 18 avril 91, en faisant hérisser de piques et de baïonnettes son passage, et en enchaînant en quelque sorte ses coursiers fougueux. Si c’est là se déclarer partisan de la royauté, s’en montrer l’ami, si à ces traits on peut reconnaître l’homme favorisant la tyrannie, dans cette hypothèse je m’avoue coupable de ce crime. »
Herman n’était pas de force. Fouquier griffonnait des conseils sur des bouts de papier qu’il lui passait. Il répondait de même. « Dans une demi-heure, je suspendrai l’audience », écrivit-il enfin. La salle était houleuse ; les juges, le jury, incertains. Souberbielle, les yeux baissés, secouait la tête aux propos d’Amar, de Vadier, de David qui ne se cachaient plus. Très inquiets, ils s’efforçaient de combattre dans l’esprit des jurés l’influence du formidable tribun. Il rappelait maintenant ses services. « J’ai fait la Commune du 10 août, l’arrêt de mort de Mandat. Mon nom est lié à toutes les institutions révolutionnaires : l’armée populaire, le Comité de Salut public, ce tribunal. Et l’on ose me prétendre modéré !…»
La voix, toujours indignée, ironique, commençait de s’érailler, son bronze se fêlait après deux heures de grondements. Herman en profita pour inviter Danton à interrompre sa défense. Il la reprendrait demain, après l’interrogatoire des autres prévenus. Il accepta.
David, Amar, Vadier, Voulland, encore secoués par ses charges furieuses, entendaient bien ne pas lui laisser l’occasion de la reprendre. Ils allèrent au pavillon de l’Égalité dresser un sombre tableau de la situation. David, beaucoup plus brillant par le talent que par le courage, était en pleine panique. Vadier et lui demandèrent que l’on trouvât un moyen de mettre Danton hors débats. La majorité n’y consentit point.
« Alors, s’écria David en tapant du poing, il sortira du tribunal porté en triomphe sur les épaules du peuple !
— Non, répondit Billaud-Varenne, nous avons de quoi le confondre quand il en sera temps. Le public n’importe pas, son opinion change en un tournemain. Ce qui compte, c’est la conviction du jury. Sois tranquille, Danton et ses amis iront à la guillotine, et il le sait bien. Il gueule, c’est son jeu, il n’a jamais rien fait d’autre. »
À la séance des Jacobins, Levasseur déclara que Danton, lorsque le scandale des
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