Un vent d'acier
n’occupait que fort peu des banquettes bleues. L’intérêt aujourd’hui n’était pas ici. Saint-Just demanda la parole à Tallien. Montant à la tribune, il mit la Convention au courant de ce qui se passait à la Maison de justice, lut le début du message de Fouquier : « Un orage terrible gronde…», rapprocha ce désordre des renseignements que l’on venait de recevoir sur la conspiration dans les prisons. « Vous avez, déclara-t-il, échappé au plus grand danger qui ait jamais menacé la liberté. Encore la victoire n’est-elle pas acquise, mais, placés au poste d’honneur, nous couvrirons la patrie de nos corps. Mourir n’est rien, pourvu que la Révolution triomphe. Vos Comités estiment peu la vie, ils font cas de l’honneur. » Il réclama le vote du décret présenté par les Comités de Salut public et de Sûreté générale. Le projet stipulait : « Le tribunal continuera l’instruction jusqu’à ce que, selon la loi, la conscience du jury soit suffisamment éclairée ; à charge par le président de réprimer toute tentative des accusés pour troubler la tranquillité publique et entraver la marche de la justice. Tout prévenu de conspiration, qui résistera ou insultera la justice nationale, sera mis hors des débats sur-le-champ. » Il n’y eut point de discussion, le décret fut rendu en un instant. Sitôt après, Billaud-Varenne, présent à la Convention avec Collot d’Herbois, demanda que le tribunal convoquât comme témoin la femme de Philippeaux. Mais Amar et ses trois compagnons ne l’entendaient pas de cette oreille, ils ne voulaient plus de témoins, plus de débats.
À la Tournelle, l’audience se poursuivait par l’interrogatoire de Lhuillier, l’ancien membre de la Commune, agent national du Département de Paris. Il se défendait paisiblement et fort bien. Cinq heures venaient de sonner, lorsqu’un huissier remit à Herman un billet envoyé par Collot d’Herbois et ainsi conçu :
« 15 germinal.
Au Président du Tribunal révolutionnaire.
Citoyen,
La Convention a rendu un décret dont tu recevras tout à l’heure l’expédition. Ce décret réprimera l’étrange désordre qui a eu lieu au tribunal et l’empêchera de se renouveler. On te portera aussi des pièces, dont la Convention a ordonné la lecture, qui éclaireront l’opinion publique sur toute la profondeur de la conspiration. »
Herman passa le billet à Fouquier. Un instant plus tard, le même huissier vint parler à l’accusateur. Sortant vivement de la salle, il trouva dans le couloir Amar et Voulland retour des Tuileries. Ils lui donnèrent le décret et la lettre de Laflotte.
« Voilà de quoi vous mettre à l’aise.
— Nous en avions bien besoin », répondit Fouquier en se forçant à prendre une mine joviale.
Pour lui, maintenant, il n’y avait plus de question. Il fallait en finir au plus tôt avec les perdants. Voulland et Amar ne se fiaient pas trop à lui. Ils conservèrent les deux pièces capitales, pour s’en servir eux-mêmes au meilleur moment.
Revenu à sa place, derrière sa table aux pieds de griffons, devant l’estrade du président et des juges, à droite de laquelle s’étageaient sur les gradins les seize accusés, Fouquier-Tinville lut la réponse de la Convention à leur requête et la lettre de Laflotte. Desmoulins eut un cri : « Ah ! les scélérats ! non… non contents de m’assassiner, ils veulent assassiner ma femme ! » Danton protestait avec force : « Ce décret ne nous concerne point, c’est une machination infernale pour nous perdre. Je n’ai jamais insulté le tribunal, j’en prends le peuple à témoin. » Et, désignant David et les autres commissaires qui parlaient bas aux jurés : « Voyez ces lâches assassins ! Ils nous suivront jusqu’à la mort. »
Dans sa plus grande partie, l’assistance n’était plus dupe de cette indignation. Le décret ne fermait pas la bouche aux prévenus, il les contraignait seulement à se défendre comme s’était défendu Lhuillier, en réfutant d’une façon méthodique et précise les imputations articulées contre lui. Le théâtre de Danton, ses jolis coups de menton et de gueule, son désir manifeste, à lui et à ses amis, de tout mettre en ébullition, ne prouvaient que leur incapacité à se justifier. Ils démontraient eux-mêmes qu’ils étaient bien des hommes de désordre, livrés à l’anarchie, à la corruption. Hormis quelques partisans obstinés et des
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