Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
de tête, et pas grand péril, car il aurait fallu une chance extrême pour causer beaucoup de dommages à un navire en le canonnant par la proue – sauf si l’on ravageait ses gaillards en tirant à mitraille, ce qui ne pouvait se faire de loin. Fernand était passionné par le jeu, par le spectacle. Pour l’instant, il oubliait le convoi, la haine contre ces suppôts des tyrans. Il admirait de toute son âme cette chose si forte et si belle : ces colonnes de voiles blanches, de coques sombres, appareillées, conduites par le trois-ponts qui montait majestueusement à la houle, s’inclinait en glissant avec aisance dans le creux suivant, se penchait sur l’autre hanche puis remontait tandis que sous son taille-mer la vague éclatait en deux gerbes d’écume rejaillissant jusqu’à la figure de proue.
    L’espace diminuait rapidement entre les deux flottes. On distinguait les habits rouges des soldats de marine rangés en ligne sur les passavants de la Reine Charlotte. Soudain, les canons de chasse des quatre premiers vaisseaux vomirent des bouffées blanches et des langues de feu. Des boulets – coups trop courts – tombèrent à l’eau, écrêtant les vagues ou faisant jaillir des geysers. D’autres passèrent en ronflant. Alors on vit tous les mantelets de la 1 re batterie au flanc bâbord de la Montagne qui se soulevait au roulis, se relever d’un coup, les gueules des pièces se darder, cracher leur foudre, rentrer. Les mantelets se rabattirent sur les sabords au moment où les batteries supérieures tonnaient à leur tour. Le Patriote tirait, lui aussi, de tous ses canons bâbord. La fumée voilait et dévoilait les assaillants environnés de gerbes ; mais bien des coups portaient, car des trous apparurent dans des voiles anglaises, des morceaux de mâture volèrent. Un hunier désenvergué se mit à battre dans le vent comme une aile folle. Les projectiles n’épargnaient pas davantage les navires républicains, et d’autant moins à mesure que les colonnes de Howe, exécutant le plan prévu, s’engageaient dans la ligne française où elles usaient maintenant de toute leur artillerie. Fernand n’avait eu encore qu’un blessé par éclat de bois, lorsque l’aspirant, son adjoint, fut projeté à plat pont, la tête en bouillie.
    L’amiral avait signalé : « Liberté de manœuvre. » Il ne pouvait plus, en effet, être question de tenir une file. À chacun de combattre selon ses moyens, dans la mêlée. La Montagne courut sur la Queen Charlotte qui venait de foudroyer au passage le Vengeur du Peuple, lequel ne trouvait pas moyen de lui répondre par un seul coup de canon. En revanche, quand la Montagne sortit toute proche, dans les tourbillons sulfureux, il lui lança toute sa bordée de 18. Le commandant Basire, capitaine de pavillon de l’amiral, eut grand-peine à empêcher ses canonniers, furieux, de tirer sur les « bougres de traîtres » du Vengeur.
    Le Patriote et le Juste encadraient la Montagne lorsqu’elle rejoignit la Queen Charlotte flanquée elle-même du Gibraltar et du Brunswick : deux 74. Les deux amiraux, passant bord à bord, se canonnèrent d’un feu d’enfilade à bout portant, qui, mieux fourni par la Reine Charlotte, fit en quelques instants une hécatombe sur la Montagne, autour de Villaret-Joyeuse et de Jean Bon. Deux cents morts ou blessés gisaient sur les passavants, les gaillards ; et parmi eux le commandant Basire. Le navire saignait. Des ruisseaux pourpres, coulant des ponts par les dalots, se répandaient sur la muraille noire et chamois. Il riposta néanmoins sans faiblir.
    À tribord, le Patriote avait engagé le Gibraltar. Là aussi, dans les volutes de fumée qu’emportait le vent, et dans un fracas continu, le combat était dur. Des matelots relevaient sans cesse les blessés, les descendaient dans le poste du faux pont. On rassemblait les morts au pied des mâts. Des cris, des craquements, les claquements sourds des boulets frappant le bois, le miaulement des balles, le crépitement de la fusillade dirigée par les soldats sur les passavants, les gaillards et les hunes adverses, se mêlaient au tonnerre ininterrompu des pièces, avec une explosion et un soulèvement plus fort quand une bordée partait tout entière. On respirait à pleines narines l’odeur de la poudre. Le sable, çà et là humide de sang, crissait sous les pieds. La sueur coulait dans les yeux qu’on essuyait, d’un revers de main. Fernand s’aperçut que chez lui

Weitere Kostenlose Bücher