Un vent d'acier
cette sueur était rouge. Il se tâta le front, sentit une coupure produite, sans doute, par un éclat de bois. Il se fit un bandeau avec son mouchoir et continua de diriger le tir de sa batterie.
Le combat quasi bord à bord durait depuis une demi-heure. Le feu du Gibraltar diminuait et le navire anglais tombait, peu à peu sous le vent. Les hommes de Fernand poussaient des cris de victoire, quand les sifflets des maîtres stridèrent, appelant les matelots aux bras. Fernand se rendit compte que la Montagne se dégageait. L’amiral volait au secours du Terrible. Celui-ci avait désemparé un trois-ponts ennemi, mais allait être lui-même accablé. Certains vaisseaux républicains se laissaient sous-venter ou emporter loin du feu, et cela permettait aux Anglais de se réunir à deux ou trois contre un adversaire.
Le Patriote, dont l’équipage, somme toute, ne se montrait pas mauvais du tout, suivit son matelot à la rescousse. Au passage, Fernand balaya d’une bordée à mitraille le tillac du Brunswick engagé flanc à flanc avec le Vengeur. Le capitaine Renaudin n’aurait plus qu’à jeter ses compagnies d’abordage sur le pont anglais ; 74 contre 74 : combat égal. Il n’en allait pas de même là-bas, du côté du Terrible, où s’était formé un amalgame de vaisseaux tirant des deux bords, au milieu d’un désordre de gabies brisées, de mâts tombés à l’eau et traînant avec les haubans et les manœuvres. Des chaloupes ramassaient les hommes cramponnés à des fusées de vergues, à des restes de hune, des barres de perroquets, des mâtereaux. Entre les bouffées des décharges, qui s’enlevaient aussitôt dans le vent comme d’immenses rideaux, on apercevait le Tyrannicide, rasé. Il soutenait néanmoins le feu, tandis que, pour pouvoir continuer à gouverner, quelques matelots s’efforçaient d’établir une voile de fortune sur le tronçon restant du mât de misaine. Le Patriote, crachant de toutes ses pièces, entra dans la fournaise.
Après son passage, et le mitraillage du Brunswick, le commandant du Vengeur du Peuple, le capitaine Renaudin, avait bien pensé, comme s’y attendait Fernand, à lancer les compagnies d’abordage contre l’équipage anglais décimé. Il y avait pensé trop longtemps. Pendant qu’il faisait diriger une violente mousqueterie contre les hunes opposées pour en chasser les habits rouges, le Brunswick soucieux d’éviter un assaut qu’il n’eût pu soutenir, manœuvra pour se dégager. Quand on voulut jeter sur lui les grappins, c’était trop tard. Renaudin n’aurait cependant pas eu de peine à le rejoindre, si un nouvel ennemi, le Ramillies, n’avait pris à partie sur l’autre bord le Vengeur déjà malmené dans ses œuvres vives par la canonnade à bout portant. Le Brunswick avait subi surtout des pertes en hommes, cela ne l’empêchait pas de tirer. En panne à moins d’une demi-encablure, saignant lui aussi par les dalots, il lâchait encore des bordées, incomplètes mais redoutables. Ainsi le Vengeur devait répondre au feu de deux adversaires.
Il, le fit assez longtemps à son honneur, finissant par désemparer le Ramillies. Mais il était à présent démâté et serré dans un enchevêtrement de débris qui flottaient autour de sa coque. Soudain des cris affolés s’élevèrent de la batterie basse : « Nous coulons ! »
Il n’en était rien. En se dégageant, le Brunswick avait arraché quelques mantelets des sabords demeurés ouverts car les vagues ne se faisaient pas sentir entre les deux navires accolés. Maintenant qu’ils étaient séparés, la mer entrait librement à chaque coup de roulis. Elle jaillissait en gerbes par-dessus les seuillets, elle se précipitait par l’écoutille dans le faux pont d’où les infirmiers se hâtaient de sortir les blessés. Tout le monde perdait la tête. La mer envahissait le navire ! On coulait ! En fait, il aurait suffi d’aveugler les sabords en improvisant des mantelets. Cela restait encore facile. L’idée n’en vint à personne. La panique régnait. Chacun ne songeait qu’à remonter des fonds, à ne pas se laisser prendre au piège là sous les barrots. Gagné lui-même par l’affolement, le capitaine Renaudin ne chercha seulement point à savoir pourquoi il coulait. Des boulets avaient provoqué des voies d’eau, bien entendu. Il arrêta le tir, mit aux pompes tous les hommes valides et amena son pavillon. Puis, comme les vaisseaux français semblaient avoir
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