Un vent d'acier
courut sus. Elle disparut dans le nord-est.
Le 23 prairial, 11 juin, on entrait dans le goulet de Brest. La flotte avait livré un combat malheureux mais gagné la bataille, car tandis qu’elle entraînait Howe à plus de neuf cents milles des côtes et qu’elle se défendait âprement, le convoi mené par Van Stabel avait passé sans encombre. Pitt essuyait une cuisante défaite, il perdait toute possibilité d’étrangler la République française. Tel fut l’avis du Comité. Il décréta que Jean Bon Saint-André et Villaret-Joyeuse méritaient bien de la patrie. Ils avaient, en effet, remarquablement accompli leur mission, laquelle ne consistait point à détruire la flotte anglaise, mais, avec des équipages insuffisants et inexperts, à faire passer intact le convoi américain. Barère célébra devant la Convention, avec plus de lyrisme que d’exactitude, l’héroïsme du Vengeur. Enfin, le capitaine Renaudin, libéré par les Anglais, fut promu contre-amiral ; ce que Fernand eût jugé avec sévérité s’il n’avait lui-même reçu sa seconde épaulette. Lieutenant de vaisseau, embarqué comme troisième lieutenant à bord du Révolutionnaire remis à neuf, il participa, sous les ordres du contre-amiral Nielly, à une rencontre, au large d’Ouessant, avec une division ennemie : rencontre qui se termina par la capture du deux-ponts anglais l ’Alexandre, de 80 canons.
IX
Le mauvais temps essuyé par l’escadre pendant les combats du 9 au 13 prairial avait également sévi à Paris, mais depuis plusieurs jours le soleil de juin brillait de nouveau tandis que se préparait activement la grande fête du 20. David s’y dépensait. Cinquante membres du club des Jacobins avaient été nommés commissaires des cérémonies, avec les vingt-huit artistes chargés des préparatifs. L’échafaudage dressé aux Tuileries, dans le jardin, s’était changé peu à peu en un immense amphithéâtre qui s’adossait au Palais national. Recouvrant la terrasse, il élevait majestueusement ses rampes, ornées de vases et de statues en stuc, jusqu’au premier étage du pavillon de l’Horloge – ou de l’Unité. Là, une plate-forme communiquait de plain-pied avec le vestibule du palais, par les balcons dont on avait déposé les fers. Au centre des gradins, se dressait une haute tribune. En face, sur le bassin rond, trônait à présent un groupe de figures allégoriques représentant l’Athéisme entouré par la Folie, l’Ambition, l’Égoïsme, la Discorde et autres ennemis du bonheur républicain. Des praticiens s’activaient à les terminer. Au Champ-de-Mars, d’importants travaux s’achevaient également.
Robespierre veillait à tout. Il avait voulu associer le peuple entier aux cérémonies, non comme simple figurant mais comme participant effectif. Chaque jour, les enfants des écoles étaient conduits à l’Institut national de Musique, on leur serinait ce qu’ils devraient chanter. Des solistes de l’Opéra allaient dans les sections apprendre aux citoyens et citoyennes les thèmes mélodiques des œuvres figurant au programme de la fête. On voyait sur les places, aux carrefours, les plus célèbres musiciens : Gossec, Méhul, Lesueur, Cherubini, juchés sur une chaise ou un tonneau, et battant la mesure au cercle des passants rassemblés.
Soudain, presque à la veille du grand jour, ces maîtres se trouvèrent singulièrement embarrassés. Robespierre apprenant, à la lecture des journaux, que le poème orchestré par Gossec pour être chanté sur la Montagne du Champ-de-Mars, avait comme auteur Marie-Joseph Chénier, s’emporta contre la commission de l’Instruction publique. Quoi ! aller choisir pour une pareille solennité l’œuvre d’un ancien ami des Brissotins, passé dans l’opposition, rangé au plus bas du Marais, un homme dont le frère, contre-révolutionnaire notoire, était emprisonné à Maison-Lazare ! Cela ne pouvait se qualifier que de trahison. Heureusement, l’Être suprême inspira un poète jusque-là inconnu : un certain Théodore Desorgues, natif d’Aix-en-Provence et disciple de Rousseau. Il improvisa une ode sur la musique déjà composée, et le nouvel hymne, au demeurant non dénué de majesté, fut imprimé, distribué en hâte.
Toute la journée du 19 prairial, on vit défiler par les rues des charrettes apportant des montagnes de roses cueillies jusqu’à dix lieues à la ronde, de la verdure, des fleurs des champs. Le peuple se
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