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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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chêne et la vieillesse ornée de pampres », ainsi que le prescrivait le programme. Charmantes chez les enfants, et chez les adolescentes, à partir de la « virilité » ces parures produisaient un effet parfaitement ridicule. Venait enfin un autre char où l’on avait eu la singulière idée de réunir des aveugles qui chantaient un hymne à la divinité. Un corps de cavalerie terminait le cortège, au long duquel David s’affairait, agitant son chapeau à plumes et criant : « Place au délégué de la Convention ! » Ses propres collègues lui donnaient le plus de mal. Tandis que l’on se dirigeait, par l’allée centrale, vers le Pont-Tournant, ils mettaient une mauvaise grâce grandissante à rester dans l’ordre. Pestant contre la prétention de les faire marcher au son du tambour et en files, ils rompaient leurs rangs pour se grouper à leur fantaisie. Ils rabrouaient David, se moquaient des objurgations des huissiers, et s’arrangeaient sournoisement, à l’instigation de Fouché, de Tallien, d’Amar, pour agrandir l’espace qui les séparait de Robespierre.
    Quand on déboucha sur la place de la Révolution, il se trouvait isolé, à vingt pas d’eux. Il semblait ainsi l’unique célébrant de cette fête. « Il faut laisser la place des fantômes », dit durement Ruamps. Parmi les députés, l’un songeait à Danton qu’il pleurait, d’autres pensaient à Vergniaud, à Brissot, aux Roland, certains peut-être à Louis XVI dont Maximilien, Couthon et Saint-Just leur avaient arraché la condamnation. Oui, tout un bataillon de fantômes peuplait l’espace vide entre Robespierre et la Convention, sur l’emplacement même où le bourreau avait montré leurs têtes au peuple, et d’où l’échafaud s’était éclipsé. Mais on n’ignorait pas que douze têtes étaient tombées ici, hier, qu’une équipe d’ouvriers avait passé la nuit à nettoyer cet endroit imbibé de sang.
    Les tambours, les trompettes, les musiques, les chants, des salves d’artillerie accompagnaient la marche du cortège passant par le pont de la Révolution, l’esplanade des Invalides, l’avenue de l’École-de-Mars. Ces bruits triomphaux, ces applaudissements ne pouvaient empêcher Maximilien d’entendre ce qui se clamait maintenant derrière lui. Bourdon de l’Oise le dénonçait à la foule comme un charlatan, un dictateur. Thirion, Montaut l’invectivaient. Lecointre le traitait de tyran. « Je le poignarderai de ma main », déclarait-il. Comme une femme, au passage, jetait des fleurs en criant : « Vive Robespierre ! » Merlin de Thionville la repoussa vivement. « Crie donc Vive la République, malheureuse ! »
    Maximilien se retourna. « Pourquoi maltraiter cette pauvre femme ?
    — Parce que nous ne voulons pas d’idole. Te rappelles-tu cette phrase ? Nous as-tu fait sacrifier Danton pour prendre sa place ? »
    Elle était loin, la joie exaltante de ce matin. Au visage de Robespierre, malgré ses efforts pour paraître impassible, l’expression du chagrin et de la déception la plus amère remplaçait l’air illuminé qu’il avait eu chez Vilatte. Son chapeau à la main, son bouquet de l’autre, il marchait d’un pas parfois incertain, au milieu de ce désert si tôt fait autour de lui. Il avait cru imposer sa doctrine à la Convention, et il devait maintenant comprendre qu’il avait attiré sur lui toutes les haines et toutes les rancunes : celles des anciens Feuillants qui se taisaient depuis la mort du roi, attendant leur heure ; celles des anciens girondistes ou girondinisants qui ne renonçaient point à la revanche ; celles des anciens hébertistes, des Fouché, des Billaud-Varenne, des Collot d’Herbois, des Vadier, des Amar, qui ne voulaient point avoir condamné Hébert et Chaumette pour en arriver à restaurer la superstition et fonder là-dessus la dictature d’un cagot fanatique ; celles des anciens amis de Danton, les Tallien, les Fréron, les Barras, ces jouisseurs qui exécraient son austère vertu.
    Devinant ce qu’il ressentait, Claude l’aurait plaint si l’on avait pu éprouver la moindre pitié pour un homme dont l’esprit têtu, intolérant et dogmatique faisait à présent le plus grand ennemi de la liberté. Le pire, c’était qu’avec son manque total de réalisme il ne s’en rendait même pas compte. Sincère mais abstrait, son amour du peuple le transformait en un oppresseur, un bourreau de ce peuple. Il ne lui venait pas à

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