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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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l’idée que cette fête menée tambour battant était odieusement tyrannique. Avait-il songé un seul instant, en surveillant les apprêts de la journée, que les êtres humains ne sont pas des entités ? Avait-il prévu des repos, des temps pour se restaurer ? Pas le moindre. Cela le peignait tout entier. Depuis cinq heures du matin – et il était à présent deux heures après midi –, il tenait debout en plein soleil des milliers de femmes, d’enfants, de vieillards, auxquels les chefs de section interdisaient de s’asseoir, de boire, de manger, parce que cela eût été contraire à la majesté de la cérémonie. Se soucie-t-on de la matière quand on célèbre la Divinité ! Sans doute estimait-il tout naturellement, comme le disait une de ces femmes, que la nourriture d’encens devait leur suffire. Mais de temps à autre, dans le cortège, une silhouette blanche s’effondrait. Robespierre la voyait-il ? Concevait-il la monstruosité de son idéalisme ? Assurément non. Il ne devait être occupé que de son amertume.
    On passa devant l’École militaire. Un arc triomphal en forme de niveau se dressait là, par lequel la procession entra dans le Champ-de-Mars, baptisé champ de la Réunion. Au centre, à la place de l’autel de la Patrie, on voyait maintenant une accumulation de rochers avec du gazon, des escaliers tournants, des buissons, des trépieds, une grotte. Au sommet tronqué, un arbre. En arrière de ce massif, une haute colonne supportant une statue. La Liberté ? ou l’Être suprême ? Un peu en avant de l’École militaire, s’élevait une espèce de temple gréco-romain précédé de vastes degrés sur lesquels la Convention prit place. Tant de puéril symbolisme ajoutait à l’irritation de Claude. N’en finirait-on jamais avec cette antiquité de pacotille, cette manie de vouloir ressusciter Rome à Paris et la république de Brutus à l’aube presque du XIX e siècle !
    Pour la plupart des conventionnels, c’était une journée de mauvaise humeur. Ils avaient fini par se débarrasser de leurs bouquets en les lançant au public, sur le parcours. Dans leur uniforme de drap, ils souffraient de la chaleur. La poussière desséchait la gorge. La cérémonie les excédait. Cependant l’orchestre et les chœurs entamaient l’hymne de Gossec et Desorgues : « Père de l’univers, suprême intelligence…» Ici, l’espace triomphait de la musique. Si puissante qu’elle fût, elle se perdait dans l’immensité du Champ-de-Mars. Et le peuple harassé s’en désintéressait. On en avait par-dessus la tête des commissaires, on les envoya promener. On s’assit à terre ou sur les talus herbeux. Les précautionneux mangèrent et burent les provisions dont ils s’étaient munis en vue du « repas civique et frugal » prévu par le programme, mais seulement à la fin de la cérémonie. D’autres partirent pour s’en procurer aux environs. Une fois restaurés, ceux qui restaient reprirent goût à la fête ; ils accompagnèrent de nouveau les chœurs. On chanta des strophes à la divinité sur l’air de La Marseillaise. Au sommet de la Montagne, un chef d’orchestre battait la mesure avec un drapeau. Le soir approchait, ramenant un peu de fraîcheur. Enfin, après le dernier hymne, une canonnade formidable éclata, répercutée par les coteaux de Passy. Claude ne sut point si l’ultime commandement du programme était exécuté : « Les enfants jettent des fleurs vers le ciel, les vieillards bénissent les adolescents, les mères remercient l’Être suprême de leur fécondité, les vierges jurent de n’épouser que des citoyens ayant servi la patrie. » En tout cas, ce fut presque aussitôt la débandade.
    Les députés mouraient de faim, ce qui n’améliorait pas leur humeur. Au lieu de retourner en corps aux Tuileries, comme le voulait le cérémonial, ils s’empressèrent de chercher pitance dans les estaminets, aux abords de l’École de Mars, tandis que la foule refluait en désordre vers le Jardin national pour voir les illuminations. Leur soif et leur faim apaisées, les conventionnels s’en allèrent par petits groupes, en clabaudant contre Robespierre. On citait le mot d’un montagnard : « Voyez ce bougre-là, ça ne lui suffit pas d’être le maître, il faut encore qu’il soit dieu ! »
    Mis en gaieté par le petit vin de Suresnes, Vadier et Amar s’amusaient à intriguer Vilatte retrouvé dans le jardin des Tuileries. « La Mère de Dieu

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