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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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vieux Vadier la détestaient. À tout prendre, il n’y avait point de mal à ce que deux jeunes êtres si bien assortis s’aimassent puisqu’ils se montraient fidèles l’un à l’autre. En entrant chez Vilatte, Maximilien salua donc aimablement la jeune femme. Elle le débarrassa de son bouquet et le pria de prendre quelque chose. Un en-cas était préparé, car Vilatte avait invité les membres du Tribunal révolutionnaire à venir voir de chez lui la fête. Quelques-uns se trouvaient là.
    Robespierre mangea peu et ne parla guère. Il semblait soulevé sur des nuages. Toute son attitude révélait l’exaltation de son âme. Il s’approcha de la fenêtre, contempla longtemps, avec une visible émotion, l’immense foule qui emplissait en ordre le jardin, chaque colonne gagnant sa place assignée. Les femmes, toutes en robes blanches – les épouses portant des bouquets de roses, les jeunes filles des corbeilles remplies de pétales – occupaient le côté du Bord de l’Eau. Les hommes, le côté des Feuillants. Ces longues masses disparaissaient sous les ombrages des marronniers Dans l’allée centrale, derrière les tambours et les drapeaux des quarante-huit sections groupées là, moutonnaient jusqu’au grand bassin et plus loin jusqu’au Pont-Tournant, les cohortes des adolescents, la force armée des sections, les canonniers avec leurs pièces, les délégations des vieillards. Le ciel versait là-dessus une lumière splendide qui avivait les couleurs. Quel prodigieux tableau ! Ces centaines de milliers d’individus rassemblés dans une pensée commune. Et cette pensée, il en était, lui Robespierre, l’interprète, le guide et le défenseur. Comment ne point se sentir bouleversé ?
    « Voilà, murmura-t-il, la plus touchante partie de l’humanité. Que la nature est éloquente et majestueuse ! Combien cette fête doit faire trembler les tyrans et les pervers ! »
    Perdu dans sa contemplation, il avait laissé passer l’heure. Il s’en avisa soudain et partit précipitamment, prenant son chapeau mais oubliant son bouquet. Quand il s’en aperçut, il fallut revenir. Pendant ce temps les conventionnels s’impatientaient. Ses ennemis chuchotaient : « Il fait le roi. Nous prend-il pour des courtisans ? Nous ne l’attendrons pas davantage. » Lorsqu’il arriva, tous étaient installés à leurs places sur la plate-forme. Son entrée solitaire parut une recherche de l’orgueil. Il gagna le fauteuil surélevé. Dans le jardin, les tambours roulèrent. Méhul leva sa baguette, et l’orchestre, rangé sur les premiers degrés de l’amphithéâtre, attaqua le morceau d’ouverture.
    Pour les sectionnaires, sur les deux terrasses et dans les allées, le spectacle se présentait ainsi : au point le plus haut, le bonnet rouge et l’oriflamme sommant le pavillon de l’Unité, qui avaient été remis à neuf, détachaient contre le ciel leurs teintes vives. Au-dessous, le dôme à quatre pans luisait au soleil. Plus bas, de chaque côté, les galeries du palais ornées de festons tricolores, de guirlandes, fermaient le décor qui se terminait à droite par le pavillon de l’Égalité, à gauche par celui de la Liberté, enguirlandés eux aussi et surmontés chacun d’un drapeau. Revenant au pavillon central, à la hauteur du premier étage le regard était frappé par un moutonnement bleu, blanc, rouge : les plumes de la Convention établie en gradins sur sa plate-forme, deux cents panaches ondulant au vent léger. En avant, seul, un petit personnage bleu clair et blanc, qui trônait comme un monarque : point de mire pour des centaines de milliers d’yeux. De part et d’autre de lui, s’ouvrait l’immense fer à cheval des degrés coupés par des échelonnements de vases fleuris et de statues, et couverts par les choristes de l’Opéra, de l’Institut de Musique, par les solistes – toutes les femmes vêtues de blanc, couronnées de roses –, enfin par l’orchestre. Entre celui-ci et les tambours, les musiques militaires, les drapeaux, qui lui faisaient face, les monstrueux ennemis de la république, promis aux flammes, se dressaient dans un espace vide.
    Après le morceau d’ouverture, le petit homme en bleu barbeau se leva, prit place à la tribune disposée en avant de lui, un peu plus bas. L’enthousiasme lui rendait la voix inhabituellement forte et nette. Seuls pourtant les membres de la Convention, les artistes, les premiers rangs dessectionnaires, entendirent le

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