Un vent d'acier
la main sur Louis XVII. Cela eût expliqué leur indifférence à l’égard de l’enfant du Temple. On ne pouvait pas rester dans l’incertitude là-dessus. Claude résolut de parler à Robespierre.
Le 5 au matin, de très bonne heure, il alla rue de la Convention. La maman Duplay l’accueillit plutôt fraîchement : « Tiens donc, vous voilà, citoyen ! Nous pensions que vous aviez oublié le chemin de la maison, vous aussi. » Il s’excusa : la besogne l’accablait. En haut, il trouva Maximilien à sa toilette. L’abord, là aussi, fut sans chaleur, mais sans hostilité de la part de Robespierre.
« Si tu viens, dit-il, pour m’exhorter à vous rejoindre, c’est superflu : j’ai promis à Le Bas et à Saint-Just d’aller à la réunion, tout à l’heure.
— Non, ce n’est pas ce qui m’amène. Je veux seulement te poser une question.
— Je t’écoute.
— Je suis allé au Temple, hier.
— Je le sais.
— Cela ne m’étonne point. Tu sais donc aussi que je n’ignore plus rien de la substitution opérée par Hébert ou Chaumette. Il m’a suffi d’un instant pour constater que le petit prisonnier n’est plus le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Où est Louis XVII ? Le tiens-tu en ton pouvoir ? »
Maximilien savait dissimuler, mais il eût été incapable de jouer ainsi la stupeur. Il resta un moment sans voix, regardant Claude, les sourcils levés, les yeux ronds. Enfin il secoua la tête.
« Je n’entends pas un mot à cela, fit-il enfin. Es-tu sûr de ce que tu dis ?
— Absolument », répliqua Claude, et il lui expliqua de quelle façon il avait acquis sa certitude.
« Eh bien, peu importe ! » dit Robespierre.
Selon lui, Hébert et Chaumette s’étaient gardés de révéler l’identité de l’enfant, sans quoi, eux disparus, les gens auxquels ils avaient dû le confier après la substitution ne seraient pas restés inactifs. Les royalistes comme les révolutionnaires ignoraient que Louis XVII fût en liberté, parce que ces gens ne le savaient pas eux-mêmes. Ils ne le sauraient jamais.
« Allons donc ! objecta Claude. N’a-t-il pas une langue pour parler ? Je l’ai vu, c’était un petit bonhomme fort déluré, fort sûr de lui. Il connaît parfaitement sa qualité de dauphin, de roi maintenant. Sa mère, sa tante, sa sœur n’ont assurément pas manqué de le saluer de ce titre. Il peut dire sur ses parents, sur le Temple, bien assez de choses pour ne laisser de doutes à personne.
— Eh bien, il faut croire qu’il est mort, d’une façon ou d’une autre, peu après son enlèvement. Car il ne se peut pas que, depuis cinq mois, il n’ait point paru chez les royalistes, ou que l’on n’ait essayé d’en faire marché avec nous.
— Et si ceux qui le détiennent ne sont pas des royalistes mais le cachent et se taisent par peur !
— Alors ils le cacheront et se tairont longtemps encore. D’ici là, le destin de la France sera établi si solidement que rien ne sera plus capable de l’ébranler. Il faut garder le plus profond secret là-dessus, mais il n’y a point de péril à craindre de ce côté-là. »
Selon lui, ce qui importait, et il le redit avec une sombre conviction, c’était de purger l’Assemblée nationale, de réformer le Comité de Sûreté générale pour le subordonner absolument à celui de Salut public, de débarrasser celui-ci de deux ou trois hommes, de réduire le bureau militaire devenu dictatorial, de réprimer Cambon qui, au Comité des Finances, suivait une politique antidémocratique et contre-révolutionnaire. Alors le gouvernement, délivré des oppositions, uni et ferme, pourrait achever la Révolution en établissant les institutions de la république.
Le gouvernement, c’est-à-dire Robespierre. Ses certitudes le remplissaient si bien qu’il ne voyait pas que sa république c’était tout bonnement la dictature, l’absolutisme robespierriste. Dans ces conditions, il restait peu de chances de s’entendre avec lui. Tout accord exige des concessions mutuelles. Il ne semblait disposé à en faire aucune.
Claude partit fort pessimiste, s’attendant au pire. Il ne doutait plus d’être, avec Carnot, sans doute aussi Barère, parmi les hommes à éliminer du Comité, tout comme Collot et Billaud. Maximilien ne parlait que de deux ou trois, mais il pensait à davantage : à tous ceux qui, ne partageant pas ses idées, devenaient par là même des ennemis de la nation. Or Claude
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