Un vent d'acier
selon toi, il n’y a pas de conspirateurs à l’Hôtel de ville, on n’y médite point un nouveau 31 mai.
— Non. C’est une rumeur que les contre-révolutionnaires répandent pour nous diviser.
— Ah oui ! Donc Payan n’a pas convoqué les membres des Comités de section, Hanriot n’a pas grossi ses troupes. Nous l’avons rêvé.
— Je ne dis point cela. Ils ont agi pour se défendre parce qu’on leur a fait peur des Comités, comme on nous a fait peur de la Commune, de Maximilien, comme on fait peur de lui et de nous à la Convention. Voilà le complot.
— Et qui a commencé de faire peur ? Qui fait planer sur l’Assemblée la menace d’une nouvelle épuration ? Qui nous a demandé les têtes de Tallien, de Fouché, de Bourdon, de Legendre ? Tu ne l’as pas entendu, tu étais à Charleroi. Qui veut encore supprimer le Léopard, Thuriot, Guffroy, Dubois-Crancé, Lecointre, Cambon, Panis, Vadier, Voulland, et bien d’autres dans le Comité même ?
— C’est là le mensonge, la conspiration. Que Maximilien ait pu vouloir amputer la Convention de quatre ou cinq membres gangrenés, soit. Ils auraient dû périr avec Danton, ces insectes répugnants. Quant aux autres, je te le déclare, jamais Maximilien n’a envisagé de les traduire au tribunal. On les soulève contre lui au moyen de ce mensonge. On amènerait la Convention tout entière à s’entr’égorger. C’est le dessein des tyrans. Je vais m’efforcer, avec mon rapport, d’éclairer nos collègues, de leur montrer équitablement leurs fautes, de leur prouver que nous n’avons rien à craindre les uns des autres. La peur se dissipera en un moment. »
Claude demeurait sceptique. Saint-Just se voyait trop aisément en arbitre suprême, planant sur les partis et ramenant Robespierre à la concorde. Il se flattait d’illusions. Bien que Maximilien n’eût rien dit, il avait dû s’indigner d’entendre son ami déclarer qu’il resterait respectueux envers la Convention. Respectueux pour Fouché, pour Tallien, pour Bourdon ! Non assurément, il n’avait aucune intention de renoncer à ces têtes-là, au moins. Et il devait être encore plus ulcéré de voir Saint-Just admettre, comme s’il s’agissait d’une chose sans importance, que l’on se tût sur la Divinité, l’immortalité de l’âme et la sainte vertu. C’était le bafouer, lui Robespierre, dans l’essentiel de ses convictions et de sa politique.
Avec le même esprit conciliateur, Saint-Just, sans croire – ou paraître croire – au complot fomenté par la Commune, contresigna, ce soir-là, un arrêté de Carnot et Billaud-Varenne ordonnant l’envoi aux armées de quatre autres compagnies de canonniers parisiens. Ce contreseing ne signifiait rien, il restait encore trente compagnies : plus qu’il n’en fallait à une insurrection. Mais pour Robespierre cela devait ajouter à la traîtrise de Saint-Just.
Claude ne se trompait pas. L’Incorruptible dit, chez Duplay, qu’il ne pouvait plus compter vraiment, dans la Convention, que sur deux personnes : « Augustin, un enfant, Couthon, un infirme. » La tactique de ses adversaires lui apparaissait clairement : l’isoler de plus en plus pour l’abattre enfin. Elle leur réussissait jusqu’à présent, il ne doutait pas néanmoins de les vaincre. Il avait pour lui la Commune presque tout entière, la force armée des sections tenue en main par Hanriot, le Tribunal révolutionnaire avec Dumas et Coffinhal, une fraction encore imposante des Jacobins, enfin, croyait-il, tout le peuple sans-culotte. Contre lui, qui se dressait ? Le Comité de Sûreté générale, moins David et Le Bas – celui-ci penchant peut-être vers Saint-Just mais cependant fidèle –, quelques membres du Comité de Salut public, et une vingtaine d’hommes perdus, méprisés de toute la Convention. D’un côté, tout Paris républicain, toute la France républicaine, pensait-il ; de l’autre, vingt-sept individus traîtres ou scélérats. Vingt-sept exactement, au total : Fouché, Tallien, Bourdon de l’Oise, Léonard Bourdon, Legendre, Barras, Fréron, Dubois-Crancé, Carnot, Carrier, Rovère, Cambon, Merlin de Thionville, Thuriot, Lecointre, Ruamps, Alquier, Guffroy, Amar, Vadier, Voulland, Jagot, Ysabeau, Courtois, Garnier de l’Aube, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Il suffirait de galvaniser la Plaine par un grand discours, pour que la Convention vomît ces misérables qui la déshonoraient. Ce
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