Un vent d'acier
lui ressemblant un peu, avait été substitué à Louis XVII. Quand ? Par qui ? Il fallait le savoir au plus tôt.
Arpentant son cabinet, Claude supputait. Enlevé par les royalistes ? Non. Il leur eût été facile de lui faire passer la frontière ou de le conduire en Vendée, et ils se fussent alors empressés d’apprendre au monde que le roi de France se trouvait parmi eux. C’était assurément Robespierre l’auteur de la substitution. Se doutant que l’on s’opposerait à ses desseins de traité avec les puissances, il avait mis à la place du petit prisonnier quelque enfant scrofuleux, choisi sans doute à la Salpêtrière, auquel Payan, Fleuriot-Lescot ou Souberbielle, ou encore de plus obscurs comparses, avaient seriné sa leçon. Il se gardait de dire d’où il venait, car il était infiniment mieux traité ici qu’à l’asile. Pendant ce temps, Robespierre, sûr de pouvoir tout conclure désormais selon sa volonté, tenait l’enfant-roi dans qui sait quelle retraite et se moquait bien des délibérations du Comité.
Il ne vint pas à la réunion commune. Ce dédain provoqua la fureur de Billaud-Varenne. Il traita Robespierre de Pisistrate. Avec une extrême violence, il l’accusa de s’être fait l’ennemi des Comités, de comploter contre eux et contre la Convention nationale, de tendre à la contre-révolution. Saint-Just et Le Bas le défendirent. Saint-Just assura que Robespierre n’avait pas la pensée ni les moyens de subjuguer la république. Claude ne dit rien, il attendait la note de son beau-frère. Il la trouva dans son cabinet en sortant de la séance. On était convenu d’en tenir une autre demain, 5 thermidor, dans la matinée pour que Couthon pût y assister, et d’y convoquer expressément cette fois Robespierre.
Le résumé fourni par Jean Dubon formait un tableau très clair, Claude y apprit des choses étonnantes. Le 3 juillet 93, le petit Louis-Charles était séparé de sa mère, de sa sœur, de sa tante, et confié au municipal Simon, ancien cordonnier puis inspecteur des travaux du Temple. Le 6 et le 7 octobre, Pache et Chaumette enregistraient son témoignage en vue du procès de sa mère. Jusqu’en janvier, rien de notable à son égard, sinon l’éloignement successif de certains commissaires et du personnel en contact avec le petit prince : le valet de chambre Turgy, les garçons-servants, etc. De sorte qu’en ce mois de nivôse an II le ménage Simon, cloîtré avec le prisonnier, demeurait seul à le connaître. Du 3 juillet jusqu’à ce moment, il avait reçu à mainte reprise la visite des médecins Thierry et Pipelet. Brusquement, le 3 janvier, Simon, mis en demeure par Chaumette d’opter entre ses fonctions au Conseil général de la Commune et son emploi au Temple, devait renoncer à celui-ci. Le 19 janvier, sa femme et lui partaient après avoir fait constater la présence de Charles Capet par les commissaires de service et en avoir reçu décharge. Le surlendemain, des quatre commissaires qui prirent la relève, deux : les nommés Bigot et Warmé, n’appartenaient pas à la Commune, indiquait Dubon. Exception unique, inexplicable. Jamais le Conseil du Temple n’avait compté d’autres membres que des municipaux. Or, à partir de ce 2 pluviôse, 21 janvier 1794, aucun médecin, ni personne, n’avait plus visité le prisonnier, nul ne s’occupait plus de lui hormis les garçons-servants. Il ne sortait plus dans le jardin. Bref, de ce moment datait cet état d’isolement complet, vaguement connu au Conseil général où s’était accrédité le bruit d’un emmurement. Depuis la mort d’Hébert et de Chaumette, au contraire de ce à quoi Claude s’attendait, ni Robespierre, ni Fleuriot-Lescot, ni Payan, ni Souberbielle ni aucun de leurs amis n’avaient pénétré au Temple, autant du moins que l’on puisse le savoir, ajoutait Dubon.
Ces renseignements bouleversaient les idées de Claude. Ils obligeaient à conclure que la substitution avait eu lieu en pluviôse, peu avant la grande offensive hébertiste. Hébert et Chaumette, non point Robespierre, s’étaient emparés du petit roi. Qu’en avaient-ils fait ? Qu’était-il devenu, eux morts ? Questions affolantes. Mais peut-être Maximilien connaissait-il les réponses. Peut-être ses amis, successeurs de Chaumette et d’Hébert à la municipalité, avaient-ils trouvé dans les papiers de ceux-ci des indications grâce auxquelles ils avaient pu, à leur tour, mettre
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