Un vent d'acier
discours d’hier, il avait placé la Convention devant les responsabilités dont elle devait prendre conscience. Il insisterait encore aujourd’hui. Si elle ne comprenait pas, alors il faudrait remettre une fois de plus au peuple le soin de faire triompher la justice et la liberté. La Commune saurait bien contraindre l’Assemblée à s’épurer des hommes perdus. Il n’avait pas eu de contact avec Saint-Just depuis la veille, et ne désirait point le voir participer à l’opération.
Il était environ onze heures et demie quand il entra au pavillon central. Il passa d’une allure paisible entre les boutiques, gravit le Grand-Degré sur lequel avait, au 10 août, ruisselé le sang des Suisses. Dans la salle de la Liberté, où la déesse élevait sur le globe le bonnet phrygien, bourgeois et sans-culottes se coudoyaient au milieu d’un bourdonnement de conversations, et maints députés tenaient des conciliabules. Bourdon de l’Oise parlait à Durand-Maillane avec un air qui donnait à penser. Barras, Tallien, Lecointre, Fouché, Rovère se glissaient de groupe en groupe. Aux regards fuyants ou insolents, aux silences subits sur son passage, Robespierre perçut une recrudescence de l’hostilité. Il se sentait brusquement moins sûr de lui. Néanmoins il se dirigea d’un pas ferme vers le bref couloir au bout duquel les huissiers relevèrent sur la porte de marqueterie la tenture verte à cordelière et bordure écarlates. Tous les députés se hâtèrent de le suivre.
« Viens, dit Tallien à un crapaud du Marais, viens assister au triomphe des amis de la liberté. Ce soir, le tyran ne sera plus. »
Thuriot présidait en l’absence de Collot d’Herbois. Après la lecture du procès-verbal, on en était à la correspondance. Maximilien s’assit sur la première banquette du centre, face au bureau, et attendit. Le Bas, Augustin étaient en haut de la Montagne, au milieu de collègues hostiles. Saint-Just arriva un instant plus tard, calme et beau dans un habit chamois, avec une haute cravate de mousseline, gilet blanc, culotte gris perle et bottes à retroussis. Les anneaux d’or brillaient à ses oreilles. Il venait de remettre à un inspecteur de la salle son billet pour les Comités. On le vit échanger quelques mots avec l’Incorruptible, et il se dirigea vers la tribune, son rapport à la main. Couthon, entrant vivement, rangea son fauteuil près de Robespierre. « La rupture avec le Comité est complète », lui annonça-t-il. Déjà Saint-Just parlait, et, dès les premiers mots, se plaçait au-dessus des partis, posait le principe de ses Institutions républicaines.
« Citoyens, affirma-t-il, je ne suis d’aucune faction, je les combattrai toutes. Elles ne s’éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui marqueront la borne de l’autorité, qui feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug de la liberté publique. »
Sorti sur l’estrade d’entre les pans de la portière fermant le petit salon présidentiel, Collot d’Herbois se hâtait de remplacer Thuriot au fauteuil.
« Vos Comités de Salut public et de Sûreté générale, poursuivit Saint-Just, m’avaient chargé…
— Motion d’ordre ! coupa Tallien en levant la main. L’orateur attaque les membres des Comités en leur absence. Je demande la suspension en attendant qu’ils aient pu se rendre dans l’Assemblée. » Saint-Just protesta. Il n’attaquait personne. « Mais tu vas le faire, nous le savons. » Quelques représentants le soutinrent. « Laissez-le aller, on verra bien. Il y a ici plusieurs membres des Comités. » Collot couvrit ces voix du bruit de sa sonnette tandis que Thuriot dépêchait un huissier avec ordre d’annoncer aux commissaires que Saint-Just était à la tribune. Non certes, on n’allait pas lui laisser engager la bataille sans avoir avec soi les plus solides jouteurs.
Ils furent là presque aussitôt, le messager les ayant rencontrés dans le passage menant à la salle. Billaud-Varenne bondit. Barère le retint, lui glissant à l’oreille : « Attaque Robespierre seul, laisse Saint-Just et Couthon. » Billaud n’écoutait pas. Assurant d’un geste machinal sa petite perruque rousse, il apostropha le jeune homme. « Pourquoi n’as-tu pas soumis ton rapport aux Comités ? Quelles sont ces façons de dictateur ? » Et, escaladant les degrés d’acajou, bousculant Saint-Just : « On a voulu égorger la Convention !
Weitere Kostenlose Bücher