Un vent d'acier
l’assurant qu’elle ne devait se faire aucun souci, Claude retourna au pavillon. Une averse lavait la poussière sur les feuilles des jeunes érables et des jeunes marronniers, dans la cour d’Honneur. Derrière la grille, déjà des files, surveillées par les grenadiers de garde, s’étiraient, attendant l’ouverture des galeries. Un public quelque peu changé. Aux bonnets rouges, aux carmagnoles, aux simples gilets, se mêlaient en nombre les énormes cravates et les revers démesurés des muscadins, les habits bourgeois. Cela sentait le feuillantinisme, pour ne pas dire davantage. Robespierre abattu, il faudrait faire face à une vague de réaction. Pourrait-on la contenir ? L’incertitude croissait en Claude. Pour rassurer sa femme il lui avait montré une figure tranquille, mais il était plein d’angoisse. Ce que tous ces gens détestaient chez Robespierre ce n’était pas seulement la Terreur incarnée en lui, mais encore la menace contre la propriété, contre les fortunes, la volonté absolument égalitaire. En le frappant, n’allait-on pas frapper la Révolution même ?
La liberté n’était-elle donc possible ni avec lui ni sans lui !…
À cette heure, Saint-Just, ayant terminé, retouché son discours, et pris quelque repos, galopait à cheval dans le bois de Boulogne. David, charitablement averti par Panis qu’il serait bien avisé de rester tranquille, avalait, en guise de ciguë, une bonne dose d’ipéca, pour pouvoir se dire malade et ne point paraître de vingt-quatre heures. Le maire et l’agent national se trouvaient encore dans la salle du Comité lorsque Claude y rentra. Sous des prétextes, Billaud, Collot, infatigables car il s’agissait avant tout de leurs têtes, retenaient les deux magistrats. On les lâcha enfin, il était trop tard pour qu’ils pussent agir. Tout se jouerait à la Convention. Couthon survint dans son fauteuil mécanique. Le paralytique s’informa. Que faisait-on ? Billaud-Varenne le lui dit, brutalement. « Quoi ! se récria Couthon, destituer Hanriot, un patriote si pur ! » Une dispute s’ensuivit, fort aigre. Couthon criait à la contre-révolution. « Et toi, tu es un traître ! lui lança Carnot, furieux. Nous avons la preuve que toi et Robespierre vous avez comploté, hier soir, aux Jacobins, de nous faire arrêter cette nuit. Robespierre, toi et Saint-Just, vous êtes des dictateurs, des triumvirs !
— Nous réglerons cela devant l’Assemblée ! » proclama Couthon en manœuvrant avec colère son fauteuil. Il roula au long du couloir, suivi par son gendarme qui le portait pour descendre et monter les escaliers.
« Et où est-il, ce morveux, qui devait nous lire son rapport ? » fulminait Carnot.
Saint-Just ne paraissait pas, en effet. L’heure passait. L’impatience, l’irritation, l’inquiétude agitaient les commissaires. Allant et venant devant les fenêtres, Claude sentait distraitement l’odeur de verdure et de terre mouillée qui arrivait du jardin. La pluie avait cessé. Le temps, un peu rafraîchi, restait gris. Jagot vint dire que l’on ne pouvait mettre la main sur Hanriot. Il était au milieu de son état-major, à la Maison commune. Impossible de le saisir sans un décret.
On décidait de le citer avec Payan à la barre de la Convention, lorsqu’un huissier de l’Assemblée se présenta, portant un billet de Saint-Just : « L’injustice a fermé mon cœur, je vais l’ouvrir tout entier à la Convention nationale. »
Le traître ! l’hypocrite ! Ainsi, il se dévoilait ! La Convention était en séance depuis une heure. Collot courut à son poste présidentiel tandis que l’on expédiait l’arrêté concernant Hanriot. Puis tout le monde, sauf Carnot acharné au travail, s’élança dans le long couloir sombre aboutissant au pavillon de l’Horloge.
« Allons démasquer ces traîtres ou présenter nos têtes à la Convention ! » clamait le vieux Ruhl, avec son accent alsacien.
XIV
Ce matin-là, après avoir dîné en famille avec les Duplay, Robespierre, revêtu de son bel habit bleu barbeau, était parti fort tranquillement pour les Tuileries, protégé à distance par ses habituels gardes du corps. Demain, décadi, c’était la fête en l’honneur des jeunes héros Bara et Viala. Il comptait aller à Choisy où les Vaugeois tenaient en réserve un lapin pour le faire courir à Brount. Aux yeux de Maximilien les choses se présentaient d’une façon très simple : par son
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