Un vent d'acier
jeta-t-il aux représentants. L’Assemblée jugerait mal de la position où elle se trouve si elle se dissimulait qu’elle est entre deux égorgements. Elle périra si elle est faible. »
Aussitôt, il partit à fond contre Robespierre, déversant sur lui un torrent de reproches, d’interjections, d’accusations désordonnées, réfutant le discours de la veille, signalant les menaces, les violences, aux Jacobins, dans la séance du soir, le complot ourdi contre les Comités et la Convention par les Robespierristes, par Fleuriot-Lescot, Payan, Dumas, Hanriot, « qui a été dénoncé au Comité de Salut public comme un complice d’Hébert et un conspirateur infâme ». Il revint à l’Incorruptible pour l’accuser d’être un contre-révolutionnaire, d’avoir toujours voulu paralyser la section militaire, de détester les victoires de la république, de traiter en sous-main, comme Danton, avec l’étranger.
« Au demeurant, ajouta-t-il, Robespierre s’est opposé avec acharnement à l’arrestation de Danton, sans nos efforts, à Collot et à moi, ce traître vivrait encore. »
Essoufflé, suant, il dut s’interrompre. Tallien, qui attendait au pied de l’estrade, en profita pour redemander la parole. Collot d’Herbois s’empressa de la lui donner, et ce fut un autre réquisitoire passionné, haletant : le long cri de la peur et de la haine, haché par des applaudissements de plus en plus nourris. La Convention, réduite au silence depuis germinal, et déjà parcourue hier d’un frisson électrique, achevait aujourd’hui de se réveiller, s’enflammait. Le Bas voulant interrompre, protester : « À l’ordre ! » lui cria-t-on. Puis, comme il insistait : « À l’Abbaye ! » Les apostrophes véhémentes de Tallien redoublèrent, galvanisant l’Assemblée. Lorsque, épuisé à son tour, il dut se taire, Billaud continua. Repoussant Robespierre qui essayait de monter à la tribune, il résuma les accusations contre lui : il avait toujours tendu à dominer les Comités, il s’était retiré par dépit devant la résistance à sa loi de prairial et à l’usage qu’il voulait en faire pour décimer la Convention contre laquelle il avait alors conjuré avec la Commune. En un mot, il avait voulu se rendre le maître absolu.
« Mais il n’y a pas ici, je pense, conclut Billaud, un seul représentant qui accepterait de vivre sous un tyran. »
Le mot attendu était lancé. La salle, les feuillantistes et les muscadins des galeries le reprirent. « À bas le tyran ! » crièrent-ils à Robespierre luttant toujours pour se faire place. Sa voix se noyait dans le tumulte, sous les coups de la sonnette présidentielle. Blême, en sueur, un pied sur la dernière marche, il se cramponnait au pupitre, corps à corps dans l’étroit espace avec Tallien et Billaud. Saint-Just était descendu et, stupéfait par cette explosion de sauvagerie, mais dédaigneux, s’adossait au soubassement de faux marbre. Beaucoup de députés, debout à leurs places, tendaient le poing, agitaient leurs chapeaux, le public trépignait. C’était une tempête comme l’Assemblée n’en avait plus connu depuis le 2 juin de l’année précédente. Soudain on vit l’acier d’un poignard briller dans la main de Tallien qui brandissait l’arme en hurlant. Ses paroles se perdaient dans le vacarme. Claude, au premier rang de la Montagne, perçut quelques mots : «… nouveau Cromwell… patrie… percer le sein si la Convention… pas le courage… décréter d’accusation ! »
Comme on se taisait un peu pour entendre Tallien, Robespierre tenta de l’interrompre, de parler. Les rugissements redoublèrent. « À bas le tyran ! Tu n’as pas la parole ! À bas ! » Contraint de quitter la place, il descendit, décontenancé, son chapeau à la main, se rangea au côté de Saint-Just. Couthon, manœuvrant la mécanique de son fauteuil, vint les rejoindre. Ils faisaient face tous les trois aux gradins en fureur, et, au-dessus de leurs têtes, la voix éraillée de Tallien retentissait dans l’accalmie. Il exigeait le châtiment « des hommes crapuleux, complices du tyran ». Il demanda l’arrestation d’Hanriot. Billaud réclama celle de tout l’état-major, et de Payan, de Dumas.
Ils les obtinrent sur-le-champ, au milieu des acclamations. L’assaut durait depuis quarante-cinq minutes à peine, et déjà le parti robespierriste était décimé. Il ne restait plus un seul de ses tape-dur dans
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