Un vent d'acier
défiait de Cambon. Il ne répliqua pas à son sujet. Il se contenta de défendre Barère, quoique sans illusions sur l’individu, parce qu’il ne fallait pas laisser entamer le Comité de Salut public, et parce que Barère entraînait le centre : les Sieyès, les Cambacérès, les Boissy d’Anglas, les Durand-Maillane, tous ces hommes de la Plaine dont les votes, portés ici ou là, faisaient la majorité. Mais Royer, abandonnant les questions de personne, s’en prit au club tout entier.
« Quant à vous, Jacobins, s’écria-t-il, jusques à quand délibérerez-vous sans agir ? Qu’avez-vous fait depuis huit jours ? Rien. Montrez-vous tels que vous étiez dans ces temps difficiles où vous sauvâtes la liberté. Changez de tactique, je vous en conjure. Agissez et ne parlez plus. »
Il exhorta le club à suivre le peuple demain aux Tuileries, à demander avec lui des visites domiciliaires systématiques, l’arrestation de tous les suspects, l’accélération de la justice révolutionnaire. On l’applaudit frénétiquement. Robespierre n’insista pas. Impossible d’arrêter le mouvement. Restait à biaiser, peut-être.
Le lendemain, 5 septembre, quand les pétitionnaires précédés de Pache et de Chaumette et suivis d’une petite foule portant des pancartes où se lisait : « Guerre aux tyrans ! Guerre aux aristocrates ! Guerre aux accapareurs ! » parvinrent au Palais national, la Convention avait déjà voté, sur le rapport de Merlin de Douai, la division du Tribunal révolutionnaire en quatre sections qui fonctionneraient simultanément. On s’occupait des subsistances, Coupé proposait d’instituer une carte pour le pain. Le Comité s’efforçait de gagner de vitesse les Hébertistes. Quant aux Enragés, Jacques Roux venait, ce matin même, d’être arrêté de nouveau, et Varlet se trouvait sous la surveillance de la Sûreté générale.
Dans la grande salle aux peintures de marbre jaune et vert foncé, la foule était moins nombreuse qu’on aurait pu le craindre. Elle se tenait assez sagement dans les tribunes et sur les gradins de banquettes bleues étagées aux deux extrémités, dans les arcades. Ce n’était pas le déferlement du 2 juin. Les huissiers et les gardes invalides n’éprouvaient aucune peine à faire respecter le long hémicycle réservé aux députés. Face au massif du bureau où Robespierre, maigre, les traits creusés, siégeait sur le somptueux fauteuil dessiné par David, Pache à la barre expliqua posément que le peuple était excédé de la disette dont il voyait la cause dans l’égoïsme des propriétaires et dans les manœuvres des accapareurs. Après le maire, Chaumette, bien moins violent que la veille, à la Commune, se contenta de lire la pétition, un peu assouplie, des sections. Elle réclamait simplement la formation de « cette armée révolutionnaire déjà décrétée en principe et que l’intrigue et la frayeur ont fait avorter ». Laquelle armée serait suivie « d’un tribunal incorruptible et de l’instrument qui tranche d’un seul et même coup les complots et les jours de leurs auteurs ». Avisé par des rapports d’Hanriot, par les observations de Dubon sur le jeu que menaient en sous-main les sections monarchistes et les royalistes déguisés, le Conseil de la Commune mettait une sourdine aux exigences ultra-révolutionnaires. Cela ne convenait point aux Hébertistes. La promesse du maximum général sous huit jours, le décret pris pour accélérer le Tribunal révolutionnaire, leur étaient leurs grands chevaux de bataille, mais Billaud-Varenne demanda hautement l’arrestation de tous les suspects.
« Si les révolutions traînent en longueur, c’est qu’on ne prend jamais que des demi-mesures », affirma-t-il.
Claude, pour gagner du temps, annonça : « Le Comité va délibérer sur les diverses propositions.
— Il serait bien étonnant, répliqua Billaud, que nous nous amusassions à délibérer. Il faut agir. »
Bazire vint au secours du Comité en mettant la Convention en garde contre les meneurs des sections qui pourraient bien n’être que des agents de trouble aux mains de l’aristocratie, comme à Lyon, à Marseille, à Toulon. Le public l’interrompit par des murmures. Danton se dirigea vers la tribune où il prit place avec un air formidable. Il enfonça Chaumette d’un mot. « Ce n’est pas assez d’une armée révolutionnaire, tonna-t-il. Soyez révolutionnaires vous-mêmes,
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